Thursday 2 February 2012

* Que mille Free s'épanouissent

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Alain Gerbault
10 janvier 2011: à l’unisson ou presque, la France, pays adorateur de ses monopoles publics, vibre pour la saine concurrence. Les consommateurs se réjouissent de payer moins cher et ils ont raison: en quelques jours, le marché de la téléphonie mobile a été bouleversé

A tel point que la question fuse: ce qui est possible dans les télécom l’est-il ailleurs? Premier constat: nombre de marchés ne sont pas aussi concurrentiels qu’on pourrait le penser. La diversité est trompeuse et le consommateur s’en rend rarement compte.

Oligopoles, ententes: la face cachée de la concurrence

On fonce dans les rayons et là…. Surprise. «Dans l’alimentation, les marques distributeurs ont introduit un peu de concurrence, observe Charles Pernin, chargé de mission à la CLCV (Consommation logement et Cadre de vie). Car, si vous regardez bien, derrière les différentes marques, il y a souvent peu d’acteurs. Vous avez des céréales Kelllogs ou Nestlé… Dans le jambon, vous avez soit Herta (Nestlé), soit Fleury Michon».

Un duopole du jambon? On blêmit. Alors on se plonge dans la lecture des communiqués des avis et décisions de l’Autorité de la concurrence. Horreur. On a l’impression qu’aucun secteur n’est épargné.

Un jour, c’est un cartel de lessiviers qui est condamné, l’autre, c’est un distributeur de jouets (les produits Diddl) qui est sanctionné «pour avoir imposé à ses revendeurs les prix de détail aux consommateurs», le troisième, ce sont les fabricants de portails… Mais les consommateurs sont aussi lésés lorsqu’un laboratoire veut interdire la vente de ses marques sur Internet (Klorane, Avène… du laboratoire Pierre Fabre), lorsqu’ils changent de pneus, utilisent leur carte bancaire (commissions liées aux paiements et aux retraits), font des chèques et payent des commissions non justifiées liées à la dématérialisation (les banques décidément…) ou reçoivent des cartes cadeaux !

A titre personnel, je n’avais jamais imaginé qu’il y avait un cartel des portails, ni que mes achats de lessive ou de shampoing n’obéissaient pas à la loi rationnelle de l’offre et de la demande. Quand on m’offrait une carte cadeau, je disais merci sans y voir malice. 

Comme contribuable, je n’aurais jamais eu l’idée d’évaluer le montant de ma taxe d’habitation au regard du prix des panneaux de signalisation routière. Et pourtant… « Sanctionnées par l'Autorité de la concurrence en septembre 2010, 8 entreprises se sont entendues pendant une dizaine d'années sur la quasi-totalité des marchés lancés par les collectivités publiques en France»! Le préjudice est invisible car indirect: il n’en est pas moins réel.

Les ententes sont invisibles…

Ententes, oligopoles et non transparence des offres ont pour vocation première d’être difficiles à mesurer. Aussi, bien qu’il en paye les conséquences, la non concurrence se niche d’abord là où le consommateur ne la voit pas. 

Fin 2010, une amende de 799 millions d’euros était infligée «par la Commission européenne, pour une entente sur les prix de transport des marchandises, à onze compagnies aériennes européennes et non européennes, dont 339,5 millions d’euros pour le seul groupe Air France-KLM, le numéro 1 mondial du secteur (25 milliards d’euros de chiffre d’affaires) et le plus lourdement condamné.»

Il est de notoriété publique que le marché de l’eau français est verrouillé par trois groupes, Suez, Veolia et Saur, qui se partagent géographiquement les contrats avec les collectivités locales (98% du marché des délégations de service public en 2010). 

Celles-ci ont retrouvé un peu de marge de manœuvre en opérant des retours en régie (ou en évoquant cette possibilité, pour peser dans les négociations). Mais cela dure depuis plusieurs décennies et ce n’est que ces derniers jours que la Commission européenne a décidé d’enquêter… 

Un Free de l’eau est-il possible? Du point de vue bruxellois, sans doute, qui voudrait une concurrence parfaite. Du point de vue local, quel élu expliquera qu’il a attribué un service public aussi vital à une entreprise, disons pour être poli non française? Sans parler des difficultés à emporter un contrat où il faut, parfois, acheter les compteurs d’eau à l’entreprise sortante. Résultat, un prix de l’eau souvent élevé

On s’éloigne du sujet? Non. C’est un constat: un Free trouverait sûrement de nombreux marchés publics offrant des marges —un peu trop— intéressantes, mais il n’est pas certain du tout qu’il s’imposerait.

… et c’est normal

«Les ententes sur les prix sont un réflexe naturel», observe Alain Madelin, éphémère ministre libéral de Jacques Chirac. Personne ne baisse ses prix sans y être contraint et, s’il est possible de transformer un concurrent en allié, nul ne s’en privera, c’est humain. Comme le consommateur n’a pas toujours les connaissances nécessaires pour évaluer judicieusement ce qu’il achète, il se transforme facilement en gogo dans mon genre, pour qui il est normal qu’un portail ou une baguette de pain soient au même prix (il y a autant de ferraille ou de farine dedans, non?). 

L’analyse des coûts suppose une expertise que le ménager de moins de 50 ans n’a pas. «Les prix sont opaques dans tous les secteurs», constate Thierry Saniez, délégué général de la CLCV.

Le cartel géographique des grandes surfaces

La récente condamnation de Casino a mis l’accent sur un travers bien connu: la concentration de la grande distribution. «Le dernier Free entré sur le marché de la grande distribution, c’est Leclerc. Et ça remonte aux années 1960!», observe Charles Pernin. Aujourd’hui, beaucoup d’enseignes rivalisent pour très peu de concurrence.

Car en apparence on a le choix: Franprix, Carrefour Market, Shopi, 8 à 8, Leader Price, Monoprix, Dia, Intermarché, Attac… En pratique, il y a surtout deux acteurs, Casino et Carrefour. Et le premier a 60% du marché. Si la zone est bien quadrillée, le consommateur se trouve captif car «à Paris, on ne se déplace pas au-delà de 500 mètres pour aller dans un supermarché», analyse Charles Pernin. 

D’où des rentes de situation géographique non négligeables. L’UFC Que Choisir a pointé les prix de 40 magasins à Paris. 22 appartenaient à Casino-Monoprix avec des prix supérieurs de 13,5% à la moyenne nationale, 8 appartenant à Auchan (Simply Market) avec des prix supérieurs de 8%, ceux de Carrefour (6,5%) et Intermarché (1,8%) fermant le bal. «Nous évaluons le préjudice financier pour un ménage parisien qui se fournit chez Casino à plus de 400 euros par an par rapport aux autres enseignes…»

En régions, c’est la même chose avec des zones de chalandise fort peu concurrentielles. «La suppression de la loi Galland est une bonne chose, estime Alain Madelin. Mais il reste encore beaucoup à faire.» L’Autorité de la concurrence pointe aussi les contrats qui lient les franchisés aux grands groupes, freinant la mobilité des enseignes (ainsi du dossier Carrefour Market Marcadet). Elle souhaiterait être autorisée par la loi à imposer des cessions de magasins… 

En cours de discussion, le projet de loi Lefebvre apporte déjà quelques réponses. Mais la véritable concurrence viendrait surtout de… l’étranger: «le low cost est venu d’Allemagne, observe Charles Pernin. Néanmoins, l’arrivée d’un Walmart serait politiquement très compliquée...»

1 comment:

  1. Et ce n'est que maintenant qu'Orange avoue avoir perdu 200,000 abonnés...

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