Friday 16 March 2012

* La vision, c'est fini ?

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Adam Krzeminski
Les indignés ne parviennent pas à fournir un récit précis sur la nouvelle économie, la société nouvelle, ou encore l'homme nouveau, censés remplacer ceux de l'ancien régime. Chacune des thérapies préconisées paraît partielle, aucune n'inspire suffisamment confiance pour que l’on s'y fie totalement.

Après 1917, la Russie a trouvé sa formule magique : placer tout le pouvoir entre les mains de commissaires politiques et du parti unique, nationaliser à tout va. En 1932, aux Etats-Unis, on a préféré le New Deal : plus d'Etat et de commandes publiques pour relancer l'économie. En 1933, l'Allemagne a appliqué une logique similaire avec l'objectif de guerre en plus : reprendre aux ennemis et redistribuer aux siens, avec l'armement en moteur de l'économie et les conquêtes pour rentabiliser les coûts.

Un Reich, une Nation, un Chef suprême... Après 1945, il n'a pas été difficile non plus de trouver de nouveaux mantras. A l'Est, les mots d'ordre étaient la nationalisation, l'industrie lourde, la planification économique centralisée : l'individu n'est rien, le parti est tout. A l'Ouest, on entendait  profiter des aides, créer des communautés avec les anciens ennemis, mettre en place une économie sociale de marché, prendre soin du pluralisme et du marché libre – tout en le contrôlant quand même – , ne pas hésiter à taxer pour financer les prestations sociales et assurer l'équilibre social.

Ce modèle de pensée a prouvé son efficacité en Europe, il a garanti la prospérité et les libertés individuelles dont ont bénéficié toutes les idéologies issues de la tradition du XIXe siècle : le libéralisme, le conservatisme, le socialisme. Dans les années 70, l'Etat-providence, sous sa forme social-démocrate ou démocrate-chrétienne, devenait le modèle absolu pour les habitants des pays du "socialisme réel".

Rhétorique religieuse

Aujourd'hui, ce modèle n'a plus sa place. L'économie est basée sur la confiance dans ses règles, sur le fait que la valeur d'une marchandise peut être, grâce à l'argent, traduite en valeur d'une autre marchandise. Avant la crise, les principaux acteurs des marchés financiers se sont fiés aux technologies de pointe, censées minimiser la probabilité d'un effondrement.

Quand celui-ci s'est pourtant produit, ils ont cité les stoïciens, en disant que l'avenir est imprévisible, et ont appelé les gouvernements à l'aide. Quant aux citoyens outrés, ils ont puisé dans la rhétorique religieuse, en blâmant la cupidité et l'avarice – avaritia, l'un des 7 péchés capitaux dans le christianisme – et en criant à la repentance.

Il n'y a plus de retour possible aux modèles éprouvés du passé. Pas de réponse simple non plus. Les idéologies classiques ont perdu leur pouvoir de persuasion. Bien sûr, on peut toujours défendre la thèse que l'avènement de l'ère post-idéologique n'est qu'une manifestation de la soi-disant idéologie néolibérale dominante, qui aurait sciemment brouillé les différences entre la gauche et la droite, entre le socialisme et le conservatisme, pour mieux asseoir son hégémonie. Force est toutefois d'admettre le sentiment très répandu aujourd'hui, que ce ne sont pas des idéologies qui animent désormais la roue de l'Histoire mais des facteurs résolument  différents, à savoir les marchés.

Affaiblissement des partis traditionnels

Les idéologies traditionnelles se sont construites dans la certitude venue des Lumières que le monde est une matière malléable et façonnable par l'homme selon sa volonté et des plans rationnels. Toutefois, pour que les gens adhérent à un projet, il faut l'appuyer par un récit qui passionne, une histoire quasi-biblique, avec expulsion du Paradis et arrivée sur la Terre Promise. Pour les conservateurs, ce serait le retour à l'âge d'or.

Pour les marxistes, la société sans classes. Pour un nationaliste, un Etat national solidaire. Pour un libéral, un royaume de liberté. Les intellectuels, producteurs traditionnels d'idéologie, ne croient pas en l'existence d'un puissant levier capable de soulever les fondements du monde.

Ce n'est pourtant pas encore la fin. La fin de l'idéologie n'est évidemment pas la fin de la politique. Celle-ci suit sa route, mais a le souffle court. Les traditionnels partis idéologiques, comme les chrétiens-démocrates, les sociaux-démocrates, les libéraux et les conservateurs s'affaiblissent. L'érosion de l'idéologie fragilise l'adhésion politique. L'acceptation même du système des partis fait défaut dans un contexte où les partis politiques peinent à marquer leur différence et où tout désaccord semble artificiellement mis en scène, destiné à alimenter le narcissisme des principaux acteurs.

Le gagnant est le politique populiste enragé, sans aucun projet, sans aucune vision d'avenir. Il sait d'ailleurs très bien que ce n'est plus ce qui importe à ses électeurs. Dans les mouvements idéologiques anciens, la colère était concentrée, des ressentiments pouvaient facilement faire naître un ethos collectif. Le populisme actuel n'est qu'un défouloir de frustrations et de tensions. Il engendre émeutes et destruction, rien de plus. Il n'en naîtra aucun nouveau Lénine, Staline ou Hitler.

Si l’on se réfère à toutes les catastrophes engendrées par l'ère idéologique du XXe siècle, on n'est certainement pas dans la pire des situations. Mais pas dans la meilleure non plus, car la crise idéologique s’accompagne d'une crise fondamentale de confiance en la politique. Les changements de personnes semblent aléatoires. Certes, le jeu politique ne conduit pas de tyrans au sommet de l'Etat mais il ne génère pas non plus d’hommes d'Etat.

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