Tuesday 28 August 2012

* Voyage à Banuroja, village du respect

Oleh Aris Prasetyo
 
           © Dessin de Krauze, The Guardian
En entrant à Banuroja, en Indonésie, on a l’impression de pénétrer dans un village hindou. Presque toutes les maisons ont un petit temple adjacent. Mais on change brusquement d’atmosphère quand on arrive au centre du village. Juste en face de la mairie se dressent les murs de l’école coranique Salafiyah Syafi’iyah. On croise là des dizaines d’adolescentes voilées et autant de garçons coiffés d’une toque. A cent mètres de la mosquée se trouvent deux églises, l'une protestante, l’autre pentecôtiste.

Bienvenue à Banuroja, un village pluriethnique et plurireligieux dont les 948 habitants vivent depuis des années en harmonie. Situé à 250 kilomètres à l’ouest de la ville de Gorontalo, sur l’île de Célèbes, Banuroja tient son nom d’un acronyme formé à partir de tous les groupes ethniques qui habitent le village : Bali, petites îles de la Sonde, Gorontalo et Java.

Les habitants de Banuroja sont pour la plupart arrivés aux Célèbes dans les années 1980. Paysans sans terre, ils ont quitté leur île d’origine avec le même désir de trouver la paix et la prospérité sur une terre nouvelle. “Nous sommes venus ici pour refaire notre vie, pas pour faire des histoires. Le problème de la foi, c’est une affaire privée“, précise Runah, un villageois.

L'harmonie, un effort quotidien

Pour le chef du village, Abdul Wahid, l’harmonie de Banuroja n’est jamais acquise. Elle demande un effort permanent et une vigilance constante. Pour cultiver cette harmonie, les villageois de Banuroja ont une tradition unique: ils se souhaitent mutuellement des vœux de paix et de bonheur à l’occasion de leurs fêtes religieuses respectives. Par exemple, lorsque les musulmans de Banuroja célèbrent l’Aïd, les hindous et les chrétiens viennent les saluer, les bras chargés de fruits ou de gâteaux. A l’inverse, lors de la fête du silence (hindoue) ou à Noël, les chefs religieux musulmans et les représentants des élèves de l’école coranique apportent les produits de leur terre au temple ou à l’église.

Wahid veille aussi à ce qu’il n’y ait pas de jalousies sociales entre les diverses communautés en respectant la parité dans le partage des responsabilités administratives du village. Lui-même est de l’ethnie Sasak (Lombok, une île proche de Bali) tandis que le président du bureau de la fraternité de la commune est un balinais. Le secrétaire de la mairie est un homme de Gorontalo [au nord de l'île de Sulawesi] et les quatre chefs de quartiers sont respectivement de Bali, Java, Lombok et Gorontalo. Le précédent chef de village était un chrétien: “Bien que les chrétiens soient minoritaires à Banuroja, un membre de leur communauté peut être élu s'il a les compétences requises pour diriger le village“, explique Wahid.

Cette harmonie inter-ethnique et religieuse est aussi visible dans le domaine de la santé. Djeek Detamor Gandey, le pasteur de l’église protestante, est le seul infirmier du village : “Les enfants musulmans viennent ici pour leur circoncision parce qu’il n’y a que ma femme, elle aussi infirmière, qui sait circoncire à Banuroja“, raconte Djeek dans un grand sourire.

Mais il précise que la tolérance doit toujours être éprouvée. Lorsqu’il a voulu placer un vitrail représentant Jésus et une grande croix sur le fronton de sa maison, il a d’abord demandé l’autorisation aux musulmans et aux hindous du village. “Je me doutais qu’ils n’allaient pas dire non, mais je devais tout de même leur demander leur accord dans un esprit de tolérance“.

Presque chaque soir, sur un terrain qui s’étend juste devant la mairie, des dizaines de jeunes jouent au foot. Tous sont membres du club Persas, fondé par l’école coranique Salafiyah Syafi-iyah. “Notre précédent entraîneur était un prêtre. Et mes coéquipiers sont hindous et chrétiens. N’importe quel jeune, du moment qu’il en veut, peut jouer dans notre club“, raconte Imam Syahroni, un élève de l’école coranique.

Le chef spirituel de l’école coranique, KH Abdul Ghofur Nawawi, estime que les différences à Banuroja sont comme un arc-en-ciel qui émerveille le regard. “Tant que chacun d’entre nous arrive à calmer son ego, la beauté ne cessera de se déployer sous nos yeux. Qui n’est pas heureux à la vue de cette bonne entente qui règne entre les divers groupes ethniques et religieux de notre village ?“ dit-il.

Si un conflit inter-ethnique ou inter-religieux éclate quelque part dans une autre région, les chefs spirituels et communautaires de Banuroja se réunissent aussitôt, afin de resserrer les rangs et de ne pas se laisser provoquer ni influencer par les rumeurs extérieures destinées à diviser. “Jusqu’à ce jour, nous n’avons jamais eu de tel conflit à Banuroja et nous prions pour que cela dure“, conclut Abdul Wahid.

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