Tuesday 2 April 2013

* Le terme "communautarisme" relève de la masturbation intellectuelle

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli, Membre de l’Institut universitaire de France

C'est une forme de paresse mentale que l'on risque de payer cher. Tic de langage largement répandu, à gauche et à droite, et qui consiste à voir "du communautarisme" partout. De la sottise aussi: une question serait résolue lorsqu'on la supprime, artificiellement, en la déniant. Attitude infantile enfin, celle de l'incantation: on répète des mots et on pense ainsi régler un problème.

Qu'en est-il de fait? Ce fut la grandeur de l'organisation sociale dans les sociétés modernes que de réduire toute chose à l'unité. Évacuer les différences. Homogénéiser les manières d'être. Bel idéal que celui de la République, Une et Indivisible.

Mais, et ce n'est pas la première fois dans l'histoire, on observe une saturation de cet idéal unitaire.

Empiriquement, l'hétérogénéité reprend force et vigueur. Réaffirmation de la différence, localismes divers, spécificités langagières et idéologiques, rassemblement autour d'une commune origine, réelle ou mythifiée. Tout est bon pour accentuer des formes de vie dont le fondement est moins la raison universelle que le sentiment partagé.

Les corps s'exacerbent, se tatouent, se percent. Les chevelures se hérissent ou se couvrent de foulards et d'autres accessoires. En bref, dans la grisaille quotidienne, l'existence s'empourpre de couleurs nouvelles, traduisant ainsi la féconde multiplicité des enfants des hommes. On le sait d'antique mémoire, il y a de "nombreuses demeures dans la maison du Père"!

C'est cela même qu'il y a quelques années, j'ai appelé le retour des "tribus". Que celles-ci soient sexuelles, musicales, religieuses, sportives, culturelles, elles occupent l'espace public.

Voilà le constat. Il est puéril de le dénier. Il est malsain de le stigmatiser. L'on serait mieux inspiré, fidèle en cela à une immémoriale sagesse populaire, d'accompagner une telle mutation, pour éviter qu'elle devienne perverse puis totalement immaîtrisable.

Après tout, pourquoi ne pas envisager que la "chose publique" (res publica) s'organise à partir de l'ajustement, a posteriori, de ces tribus reposant sur des affinités électives? Pourquoi ne pas admettre que le consensus social, au plus près de son étymologie ("cum-sensualis"), puisse reposer sur le partage de sentiments divers?

Puisqu'elles sont là, pourquoi ne pas accepter les différences communautaires, aider à leur ajustement et apprendre à composer avec elles? Après tout, une telle composition peut participer d'une mélodie sociale au rythme peut-être un peu plus heurté, mais non moins dynamique.

En bref, il est dangereux, au nom d'une conception quelque peu vieillissante de l'unité nationale, de ne pas reconnaître la force du pluralisme. Le centre de l'union peut se vivre dans la conjonction, a posteriori, de valeurs opposées.

A l'harmonie abstraite d'un unanimisme de façade est en train de succéder, au travers de multiples essais et erreurs, un équilibre conflictuel, cause et effet de la vitalité des tribus postmodernes. Cessons d'être des grognons obnubilés par le "bon vieux temps" de l'unité. Il faut avoir l'audace intellectuelle de savoir penser la verdeur d'un idéal communautaire en gestation.

1 comment:

  1. Tromper les masses est une chose, échapper au scalpel de Dr Zoom en est une autre :-) Un autre terme intellectualiste pour détourner l'attention et endormir pendant que le business as usual se perpétue!

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