Wednesday 9 October 2013

* Les 8 années de servitude de Maurice à la Banque mondiale


L’actualité est dominée par le départ du Secrétaire financier à quelques semaines du Budget. Bonne nouvelle ou mauvaise nouvelle ?
Sudesh Lallchand * : C’est une mauvaise nouvelle sur une question de timing car ce développement va impacter sur la préparation du Budget et surtout le moral de l’équipe budgétaire du ministère des Finances. Cela dit, son départ pourrait être bénéfique au pays si on analyse la politique fiscale de ces dernières années sous l’emprise quasi-totale de l’ex-Secrétaire financier ainsi que notre performance économique découlant de ces mesures fiscales. Sans parler des désaccords systématiques et grandissants entre les deux autorités phares du pays : la Banque de Maurice et le ministère des Finances. C’était devenu trop malsain !

Ali Mansoor se dit satisfait de notre performance et cite, à titre d’exemple, des indicateurs étrangers comme celui de l’agence Moody’s qui a rehaussé la note de Maurice…
On vit à Maurice et on n’a pas besoin des rapports étrangers, souvent erronés pour venir nous dire si on est malade ou pas. D’ailleurs faites vos propres recherches et allez savoir d’où émanent des informations qui sont à la base des analyses et conclusions de ces indicateurs. Pour moi, si on a mal et on souffre atrocement ,c’est qu’on est malade. En parlant des indicateurs étrangers, sachez que le dernier rapport de World Economic Forum de 2013 classe notre pays à la 75e place sur 140 pays dans la section de « Competitiveness » alors que dans le rapport précédent, on était à la 18e place ! « You cannot pick and choose just those indicators that help your cause ».

Quels sont les symptômes de notre maladie dont vous faites allusion ?

L’investissement et l’épargne sont en dégringolade vertigineuse. Le chômage a atteint un niveau insoutenable. La population perd son pouvoir d’achat année après année. L’inflation réelle aussi bien que l’inflation importée fait ravage. La dette publique a atteint un niveau très inquiétant. Aujourd’hui, 15 % de chaque revenu de l’État repart que pour payer les intérêts sur nos dettes. La balance commerciale est très négative. Le « business mood » dans le privé est morose. Notre système financier est assis sur une bombe à retardement à cause du niveau de l’endettement des entreprises et nos importations sont le double de nos exportations. Nos valeurs boursières sont à moitié ou moins ce qu’elles étaient quatre ans de cela. Ou donc y a-t-il matière à se féliciter ? Si Ali Mansoor dit que le pays a progressé sous son passage, il vit dans un autre monde.

 On dit d’Ali Mansoor qu’il est un homme de chiffres. N’est-ce pas en fin de compte sa méconnaissance du terrain qui a joué contre lui ?

Je ne pense pas qu’il est un homme de chiffres, sinon il aurait très vite analysé et compris notre situation économique et le danger qui guettait le pays si la situation continuerait. Pour moi, Ali Mansoor était plutôt quelqu’un qui vivait dans un monde théorique, déconnecté de la réalité du terrain, mais avec un pouvoir quasi total sur tous les ministères. Il y a même des gens qui pensent que Mansoor était devenu l’homme le plus puissant de Maurice. Un second Premier ministre virtuel si vous voulez. 

 Ali Mansoor avait ouvertement fait part de son désaccord sur la politique monétaire prônée par le Gouverneur de la Banque de Maurice. Selon les observateurs, il contribuait à accentuer les divergences entre la Banque de Maurice et le ministère des Finances. Vos commentaires ?
Ali Mansoor prône ce que j’appelle le « crony capitalism », c’est-à-dire le capitalisme à outrance préconisée par le duo Banque mondiale-FMI. J’ai moi aussi travaillé à la Banque mondiale, mais ma philosophie économique est différente, surtout après que ma recherche à l’Université de Cambridge a démontré clairement que c’était la BM-FMI et ses prescriptions ultralibérales qui étaient à l’origine même de la grande crise économique et financière de l’Asie et de l’Amérique latine dans les années 80 et 90.  Le désaccord émane surtout de la théorie économique de FMI-BM épousée par Ali Mansoor qu’à travers un processus de rééquilibrage des marchés.

Autrement dit, il est de ceux qui pensent que les problèmes économiques d’un pays peuvent être réglés assez facilement en jouant avec quelques paramètres. Si on a besoin de stimuler l’économie, on n’a qu’à baisser le taux d’intérêt et déprécier la monnaie et le processus de rééquilibrage se met en marche automatiquement. Des investisseurs étrangers vont très vite réaliser l’opportunité que notre pays leur offre et ils vont se ruer pour venir à Maurice et investir dans notre économie. Même chose pour les investisseurs locaux. Ce processus va générer des investissements, la croissance et l’emploi pour l’économie.

La philosophie de Bheenick est différente. La croissance, l’investissement et l’emploi, c’est l’affaire de la politique fiscale du pays. Ils sont donc sous la responsabilité du ministère des Finances. Le mandat de la Banque centrale est de veiller à ce que notre monnaie ne perde pas de sa valeur et que le niveau de prix soit le plus stable possible. C’est le meilleur moyen de protéger la population contre les effets de l’inflation, la perte du pouvoir d’achat et un appauvrissement. La stratégie d’Ali Mansoor d’empiéter sur le terrain de la BoM était autant irresponsable que mal conçue et a fait du tort à tout le monde.

 Avec la démission de Mansoor, Xavier-Luc Duval perd un puissant allié qui, bien qu’étant pas membre du comité de politique monétaire influait sur les décisions de celui-ci. Est-ce le début de la fin de ce qui était pour les observateurs une mainmise du Trésor sur les décisions de la Banque de Maurice ?

Si l’objectif de XLD est de contrôler la politique monétaire, le départ d’Ali Mansoor ne change en rien à la donne. Aussi longtemps qu’une majorité des membres du comité sont sous le contrôle direct ou indirect du ministère des Finances et s’ils font cause commune à travers une directive ou par « hazard », la position de force de XLD sur le comité n’est nullement diluée.  Mais là où Ali Mansoor pesait de tout son poids sur la décision du MPC, c’était lors des ses « briefing sessions » qu’il avait avec les membres du comité juste avant chaque session de vote.

Et le « voting pattern » du comité démontre clairement que certains membres font généralement cause commune contre les propositions du Gouverneur et arrivent même à le mettre en minorité. C’était comme si notre Premier ministre, dûment mandaté par la population pour faire aboutir des projets de développement sociaux, était systématiquement mis en minorité au conseil des ministres par ses ministres.

L’effet réel du départ d’Ali Mansoor sur le comité sera indirect. Si le comité persiste à mettre le Gouverneur et ses lieutenants en minorité, je suis prêt à parier que bientôt cela pourrait être le tour des membres individuels du comité de prendre la porte de sortie. La bataille de Bheenick n’est pas pour autant gagné d’avance. La prochaine réunion du comité nous en dira long.

Des voix se sont élevées dans le sillage de la dernière réunion du comité de politique monétaire pour demander que le ministère des Finances respecte la loi sur mandat de la Banque de Maurice pour veiller à la stabilité des prix. Votre avis ?
Chacun a son rôle à jouer dans la gestion de l’économie. Le ministère des Finances ne peut se permettre de dicter la politique monétaire du pays. C’est le territoire de la BoM, une institution créée en vertu de la ‘Banking Act’ et qui garantit un statut autonome à l’institution. Si le ministère des Finances veut diriger la BoM, il n’a qu’à amender la loi et faire la BoM devenir un département du ministère, donc sous les ordres du Secrétaire financier et du ministre de Finances. Mais en attendant, que chacun respecte la loi.

Rundheersing Bheenick a souligné avec force une nouvelle fois qu’il n’y a aucune corrélation entre la croissance et les ajustements au taux directeur et qu’il faut voir dans notre performance économique le manque d’investissement public. Que pensez-vous de la lecture du Gouverneur de la Banque de Maurice ?

Depuis 2008, le taux directeur n’a cessé de baisser systématiquement, mais l’investissement et la croissance n’ont pas suivi. Par contre, mes propres recherches démontrent une corrélation très forte et inquiétante entre la baisse de taux directeur et l’endettement accrue et souvent périlleuse des entreprises. On n’a qu’à analyser les chiffres.

Justement, quel regard jetez-vous sur l’endettement des entreprises à Maurice ?

C’est une bombe à retardement qui peut mettre à genou notre système financier et l’économie en général. Beaucoup des entreprises se sont endettées jusqu’au cou avec des « debt to equity ratios » jusqu’à trois fois supérieurs à la norme. Je me demande si les autorités ont fait un constat adéquat de la situation ? Ou est le principe de « prudent financial management » des opérateurs et quelle est la responsabilité or irresponsabilité de nos autorités dans tout cela ? L’heure est grave !

La Banque de Maurice a donné des instructions aux banques pour qu’elles prennent une série de mesures pour prévenir l’éclatement d’une bulle immobilière. Ce risque est-il réel ?

Il est très réel. D’une part, les prix des immobiliers à Maurice ont atteint un niveau trop élevé, poussé par  une spéculation foncière à l’outrance, en déphasage totale avec la réalité, de l’autre côté la demande pour les IRS, RES ou les chambres hôtels en vente ont baissé considérablement. D’ailleurs, plusieurs grands projets d’IRS, de RES et d’hôtels ont été carrément abandonnés ou remis à plus tard. Du coup, et les investisseurs et les institutions financières qui leur ont prêté de l’argent sont pris au piège. Nous avons là les ingrédients nécessaires pour un éclatement de la bulle immobilière. Il faut faire très attention !
 

*Sudesh Lallchand est détenteur d’un doctorat en économie et finance de Cambridge University. Il a déjà travaillé à la Banque mondiale (Washington), au Rogers Head Office et à la Banque de Maurice. Il est présentement consultant international dans le domaine des projets, de la restructuration financière et du tourisme.

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