Friday 5 December 2014

* Pour affaiblir cette alliance mafieuse entre la politique et les affaires

Joël Toussaint

A défaut d’un projet, les principaux blocs politiques présentent continuellement en guise de programme électoral une collection de mesures hétéroclites qui révèlent en réalité la faillite d’une famille politique que l’on peine à nommer : les Conservateurs ! Il n’y a pas que le malaise identitaire qui ressort de l’étude de la psychologie sociale de l’île Maurice ; il convient d’interroger l’incapacité, voire le refus, de ses intellectuels à nommer une famille politique pour réaliser que celle-ci est parvenue à se renouveler depuis l’indépendance du pays en s’appuyant justement sur ce non-dit qui lui permet de se camoufler. L’hégémonie des Conservateurs a toujours reposé sur cet artifice qui consiste à ne pas révéler ce qui fonde son pouvoir et l’enjeu de cette campagne électorale réside bien dans la volonté à y mettre un terme. Cela n’est possible qu’en s’en prenant à l’amnésie des uns et le déni des autres, afin qu’il n’y ait plus de faux-fuyants.

La bipolarisation de la politique mauricienne est le fruit combiné des omissions de la classe intellectuelle et des démissions des responsables institutionnels qui se sont également effacé devant les tenants du pouvoir politique et économique du pays. Sous les coups de butoir d’une jeunesse prête à s’engager pour reconquérir un avenir démocratique, les Conservateurs sont allés aussi loin que la considération exclusive d’une réforme électorale. Il leur importait surtout de faire barrage à ce que certains commentateurs de presse ont fini par timidement désigner comme les « partis émergents », par opposition à ce qu’ils se sont résignés à désigner comme les « partis traditionnels ». Au jeu de l’euphémisme et de la litote, on se retrouve avec des formations qui entendent « laver leur linge sale en famille » pendant que l’électorat « se trouve dans de beaux draps ». A ce niveau du commentaire politique que l’on voudrait enrichi par des sondages, il n’y a plus qu’à confier le reportage de la campagne électorale aux commentateurs sportifs et que ceux-ci nous ramènent les cotes des bookmakers !

La bipolarisation ne concerne que l’électorat
Les enjeux de ces élections législatives 2014 sont tels qu’il importe de s’éloigner de pareille légèreté. L’électorat a besoin d’être davantage éclairé sur la fracture sociale qu’il pressent sans pouvoir en reconnaître les lignes de rupture. Il y a en premier lieu l’évidence, apparente et indéniable, d’un clivage de l’électorat, avec d’un côté, une faction qui aspire au bien commun dans le respect de tout un chacun et la préservation de nos ressources communes, et de l’autre, une faction davantage disposée à se conformer au jeu des sectarismes divers dans l’espoir de certains avantages particuliers.

Puis il y a l’évidence la moins apparente : c’est que les deux principaux blocs politiques sont à même de satisfaire cette deuxième catégorie et que leur pratique du pouvoir depuis l’indépendance les disqualifie auprès de la première catégorie. L’équation nous révèle alors que la bipolarisation ne va pas dans le sens dont on l’entend habituellement, c.à.d dans le rapport de forces entre les deux principaux blocs, mais dans le sens des vœux opposés de l’électorat. Sur cette base, on s’aperçoit à quel point il était même erroné d’évoquer une éventuelle « troisième force » ; la bipolarisation claire des vœux de l’électorat révèle l’illusion jusqu’ici entretenue selon laquelle il aurait fallu une troisième force pour que les électeurs puissent enfin sortir de la contrainte du choix entre seulement deux blocs partisans. C’est faux ! Il s’agit, en réalité, d’une seule et unique force, une même famille, celle des partis conservateurs déterminés à multiplier à l’infini les combinaisons d’alliances électorales. Les alliances faites, défaites et refaites sont bien la preuve de l’aptitude des Conservateurs à se transformer, comme dans des procédés de « morphing » ; et la métamorphose leur permet de toujours s’adapter au cadre bipolaire de la fraction de l’électorat. C’est ce qui leur permet de produire alors les discours correspondant à une opposition factice.

Dans leur ultime effort pour contrer l’émergence d’une nouvelle génération politique, les Conservateurs ont procédé à des manœuvres qui révèlent tout le dispositif qu’ils ont en commun depuis l’indépendance. Il faut, pour comprendre la perspective dressée avec 1968, s’éloigner de l’actualité immédiate du folklore électoral pour pouvoir considérer la manière dont les deux principaux blocs avaient abordé la question de la réforme électorale. Sur cette question, tout le monde conviendra que les protagonistes étaient parvenus à s’entendre sur au moins une chose : se réserver l’exclusivité des orientations et des décisions. Tandis que Ramgoolam semblait enclin à favoriser une plus grande consultation, Bérenger, alors en alliance avec le MSM et toujours plus (trop) volubile, ne manqua pas de préciser que la question devait être tranchée par les grandes formations. Rien qu’en cela, la filiation politique de Bérenger à SSR ne saurait souffrir de conteste (même si cette tangente ramgoolamienne l’éloigne certainement des tribuns travaillistes tels Maurice Curé, Anquetil et Rozemont). Pourquoi faisons-nous référence à ce fait particulier ? Parce qu’il est la reproduction d’un fait similaire dans l’histoire du pays !

En effet, peu s’en souviennent, mais Seewoosagur Ramgoolam avait usé de cette même approche avec les Anglais en marge des discussions menant à la conférence constitutionnelle pour l’indépendance du pays. Ses arguments : pour gouverner le pays il fallait une majorité suffisamment confortable pour assurer la stabilité politique ! Faut-il alors s’étonner de la reprise de ce même argumentaire encore aujourd’hui ? En tout cas, il nous montre bien que si les Conservateurs font peu de cas de la nécessité d’une politique durable en matière d’environnement écologique, la notion du durable ne leur est pas du tout étrangère dès lors qu’il s’agit de protéger leur environnement politique !

Il y a de la continuité chez les Conservateurs. Pour le réaliser, il aurait fallu simplement se demander ce qu’ils entendent conserver. Et la réponse coulerait alors de source : il s’agit de conserver les privilèges issus de l’héritage colonial, autant pour les mandarins et autres commis de l’Etat sous la période anglaise que pour les exploitants agricoles et ceux du négoce commercial depuis la période française. C’est uniquement ce rapport historique qui fonde la collusion entre les acteurs politiques et économiques dans ce pays.  Même si ce rapport est depuis longtemps perverti et que les cocufiés de cette faction du secteur privé essaient de se donner bonne figure, en reprenant notamment les bobards servis par une agence de communication pour dire qu’ils financent les grands partis parce que cela contribue à la démocratie dans ce pays ! Il aurait sans doute été plus honorable de concéder qu’ils se soumettent au racket mafieux de ces formations qui entretiennent l’opacité quant à leur financement puisque les institutions qui ont la responsabilité d’ouvrir l’œil sont atteintes de cécité sur ces montants astronomiques qui circulent et qui ne servent pas qu’à assurer la distribution de macaroni aux démunis. S’il fallait prêter foi à ce type de diatribe, les partis politiques des deux principaux blocs auraient dû se faire enregistrer à la MACOSS pour figurer parmi les ONG sur le site d’Act Together ! Oh ciel, que de discriminations…

Le « Vote Block », un suicide collectif
Mais trêve de digressions, le « vote block » émane aussi de ce système et c’est par cette formule qu’il domine et perdure. La pérennisation du conservatisme en tant que famille politique repose sur cette formule que tous les partis politiques des deux principaux blocs ont en commun. Depuis l’indépendance ce pays fonctionne au mode du parti unique à combinaison variable, avec Bérenger et ses « bérengistes » qui assurent l’alternance, non pas depuis 1983 comme certains propagandistes voudraient nous le faire accroire, mais bien depuis 1972 ; année où Bérenger abdiqua des idéaux du MMM et se désista aux partielles de Pamplemousses/Triolet.

Ce qui est intéressant cette fois, c’est ce sursaut de la société civile appelant à refuser le « vote block ». C’est le fait le plus significatif de cette campagne électorale. Car, s’il serait suivi, et compte tenu de la volonté des formations alternatives à ébranler l’édifice des Conservateurs, on serait peut-être à deux doigts de mettre un terme à la perversion de la démocratie camouflée sous l’euphémisme du « Koz-kozé ». C’est ce qui pourrait permettre à ce pays de découvrir enfin une démocratie qui s’articule sur les principes du multipartisme. En somme, si les citoyens de ce pays administrent une leçon à ceux qui sur plus de quatre décennies les ont tournés en bourriques, l’assemblée nationale ne serait plus l’otage des calculs politiciens et partisans.  Le Parlement deviendrait alors le lieu où les parlementaires enfin parlementent ! Pour le bien commun plutôt que pour les intérêts particuliers.

Des Conservateurs, pour pouvoir en finir, il importe de les définir. Il incombe, en effet, aux intellectuels de s’élever contre la consigne du « Vote Block » car jusqu’ici, au comble de l’hystérie dans la vénération des despotes, cette pratique se résume à un suicide collectif qui vide le parlement de toute sa vitalité.

1 comment:

  1. Je suis tout a fait d'accord avec ce que vous dites. Moi personellement je ne voterais pour aucun block, je choisirais des personnes capables de parlementer. Suis heureuse que notre system electoral permet de voter librement. Le 11 decembre 2014 nous n'allons plus nous regarder de la meme maniere. Nous aurons grandi...

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