Monday 31 December 2012

* Christina Chan-Meetoo déconstruit le Zeitgeist mauricien

Des élections villageoises et municipales ont eu lieu ce mois-ci, quel décryptage faites-vous ?
Christina Chan-Meetoo, chargée de cours en ‘Media & Communication’ à l'University of Mauritius:
En l'absence de statistiques détaillées, je peux simplement dire que l'observation sur le terrain et les ‘feedbacks’ obtenus me donnent l'impression que la majorité des jeunes ne se sont pas déplacés pour aller voter. Ils ont l'impression que cela ne sert à rien et surtout, ils pensent que les partis politiques ne sont que des guignols qui ne méritent que du mépris. Ils sont passablement dégoûtés de la politique et on ne peut pas les blâmer car les modèles en présence nous offrent en permanence un spectacle affligeant.

Par contre, il me semble que les femmes ont davantage participé en scrutin en tant qu'électrices en réponse à une offre plus satisfaisante de la représentation féminine. D'ailleurs, il est intéressant de voir que plus de femmes ont été élues par rapport aux scrutins précédents, grâce à la nouvelle loi imposant des quotas.

Est-ce que le Mauricien est-il conscient des enjeux qui ont trait à l'économie, le social, l'environnement et la société, entre autres ?

Il en est certainement plus conscient à des degrés divers. L'enjeu économique reste la préoccupation majeure en ces temps de crise avec la diminution du pouvoir d'achat, en raison d'une inflation galopante sur les produits de consommation courante et l'endettement pour pouvoir continuer à maintenir ou améliorer son niveau de vie au quotidien. Tout cela en contraste avec l'augmentation de la tentation de toujours consommer plus avec la prolifération des centres commerciaux, les produits de luxe et le mercantilisme.

En ce qu'il s'agit du reste, la prise de conscience est là mais elle n'est pas nécessairement traduite en action car nous souffrons encore de nombreux fléaux sociaux tels que l'incivisme et l'étroitesse d'esprit. D'un côté, nous avons des Shopping Malls clinquants et de l'autre, notre environnement est sale, nous roulons dans des bolides polluants, et nous ne sommes pas très courtois les uns envers les autres en général.

En tant qu'universitaire, est-ce que vous voyez l’éducation jouer son rôle d’ascenseur social ?
L'éducation au sens large du terme, c'est-à-dire, plus large que l'instruction, peut certainement jouer le rôle d'ascenseur social et il a peu ou prou rempli cette mission. Mais force est de constater que le système est complètement dépassé. Nous faisons toujours subir à nos enfants la terrible épreuve du CPE avec toute la pression familiale, institutionnelle et médiatique que cela entraîne et nous leur disons que c'est cette étape qui va déterminer leur avenir, s'ils feront partie de l'élite académique et éventuellement de l'élite tout court. C'est une terrible épreuve à seulement 11 ans.

De plus, le système scolaire du primaire au secondaire est basé sur le ‘spoon-feeding’ et la compétition individuelle. Lorsqu'ils arrivent à l'université, c'est une véritable gageure de défaire tous ces réflexes accumulés au fil de 13 années de scolarité pour essayer d'ouvrir les esprits et la curiosité de ces jeunes peu habitués à l'analyse critique et la pensée créative. Les vocations et les passions sont rares (heureusement qu'il en subsiste quand même) car nous avons tué l'envie d'apprendre par plaisir et nous avons donné à nos jeunes l'impression qu'il suffit d'avoir un morceau de papier pour réussir.

Ils sont nombreux, ceux qui entrent dans ce système et jouent selon ses règles perverses, puis se retrouvent soit au chômage (+20 % de jeunes au chômage), soit dans un emploi peu satisfaisant.

Est-ce que l’Université est en train de former des jeunes à se réaliser, mais aussi pour le développement du pays ?
Les institutions tertiaires contribuent certainement au développement. Cependant, elles souffrent de contraintes systémiques majeures avec une tension permanente entre quantité et qualité, l'influence politique qui cherche à s'accentuer, les moyens limités, les ressources humaines en crise et, comme mentionné plus tôt, une masse d'étudiants chez qui il faut constamment défaire des mauvaises habitudes acquises aux cycles précédents. Nous avons beaucoup de mal à leur apprendre la collaboration, le travail d'équipe, la réflexion analytique et la créativité.

La question de perte des valeurs traditionnelles est souvent citée comme facteur expliquant cette situation. Sommes-nous dans un processus irréversible ?

La perte de valeurs a toujours été décriée avec les critiques des plus âgés envers les plus jeunes. Ainsi va le monde depuis la nuit des temps. Les valeurs subissent toujours une évolution et s'adaptent aux besoins du moment.
Tout de même, je pense que le Mauricien a toujours le sens de la famille. Cependant, de nouvelles pratiques culturelles viennent s'y greffer. Les jeunes s'émancipent virtuellement si ce n'est physiquement avec parfois des vies doubles : un visage que l'on montre à la famille, un autre pour ses amis.

Existe-t-il des signes d’une prise de  conscience  de l’identité mauricienne ?
Il y a une certaine prise de conscience, mais elle n'est pas totale ni permanente. Le discours politique ambiant et celui des aînés ont tendance à encourager les jeunes à aller ailleurs pour se faire un avenir. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose si c'est pour s'enrichir pas uniquement matériellement mais surtout culturellement et intellectuellement. Malheureusement, la réflexion dominante est plutôt mercantile. On a aussi toujours le complexe d'infériorité devant ce qui vient de l'Occident.

Quel sens donnez-vous à l’interculturalité, dans un pays comme le nôtre ?
L'interculturalité existe déjà en filigrane de notre société. Le mal dont elle souffre, c'est qu'elle n'est pas nécessairement réfléchie ou célébrée. On se trompe aussi en croyant qu'il suffit de juxtaposer des éléments de chaque 'culture' (la notion de culture étant elle-même réduite à une manifestation ethno-religieuse ou à un artefact folklorique) pour fabriquer une identité. La culture est diffuse et se vit au quotidien avec des références communes fortes dans la manière de penser et de vivre. L'interculturalité se nourrit des richesses de différentes pratiques culturelles sans les mettre en opposition.

Est-ce que les religions, ou les hommes religieux, sont-ils des acteurs positifs dans l’édification de l’individu mauricien, débarrassé des préjugés ?

Certains religieux sont effectivement des acteurs positifs qui favorisent l'ouverture d'esprit même s'ils promeuvent les préceptes de leur religion. Le souci c'est que beaucoup de ceux qui sont visibles font montre d'un fanatisme réducteur, en particulier ceux qui font partie des organisations dites socio-culturelles qui occupent le devant de la scène. Ces gens-là ont tout intérêt à promouvoir l'obscurantisme. Ils le font par pur calcul égoïste et populiste.

Une 3e force politique reste toujours d’actualité. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se concrétiser?

La demande est là. Les gens sont prêts à accueillir une troisième force. L'offre fait défaut car les groupes qui ont pu susciter un engouement initial ont le tort de ne pas proposer de la substance. En l'absence d'idée ou de stratégie concrète, les gens sont découragés et surtout désabusés. Le risque c'est que les gens ne s'intéressent plus du tout à la politique car elle est devenue pour eux synonyme de mauvais vaudeville.

Quels seront les défis majeurs auxquels Maurice sera confronté en 2013, et, saurons-nous capables de nous défendre ?

Le défi majeur est celui de l'éducation. Une refonte complète est nécessaire pour redonner le goût de la connaissance, la curiosité, la pensée critique et créative afin de créer non seulement une nation d'entrepreneurs économiques mais aussi sociaux, culturels, intellectuels et afin de cesser de créer des suiveurs.

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