Saturday 16 March 2013

* Sécurité routière: ne confondons pas vitesse et prévention

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Eric Dupin
«Il est presque midi. Vous êtes en chemin pour récupérer votre père à la gare. Vous vous dites que limiter cette départementale à 90 n’a pas de sens. Vous vous dites que rien ne vous empêche de rouler à 110. Ce que vous oubliez, c’est qu’à cette vitesse, vous ne pourrez pas éviter ce tracteur à la sortie du virage. A cause de cet oubli, votre père vous attendra longtemps, très longtemps.»

Diffusé aux heures idoines, ce spot radio de la Sécurité routière est fort bien réalisé. Tant mieux s’il aide à prendre conscience des risques d’accident dans les conditions les plus ordinaires de la vie quotidienne. Cette campagne de sept spots est toutefois uniquement centrée sur le respect des limitations de vitesse.

Dans l’exemple évoqué ci-dessus, rien ne garantit que rouler à 90 km/h permettrait d’éviter un tracteur au sortir d’un virage sans visibilité. Ce type d’accident est fréquemment le produit d’un manque de prudence, de vigilance et d’attention du conducteur. Le respect de la vitesse légale n’y change rien.

Les pouvoirs publics n’en persistent pas moins dans une lutte contre l’insécurité routière focalisée sur cette réglementation. Après la multiplication des radars fixes et mobiles, voici que sont entrés en service les radars «nouvelle génération» embarqués dans des voitures banalisées. Les excès de vitesse de plus de 10% au-dessus de la limite légale pourront être discrètement et automatiquement sanctionnés. Est-on néanmoins certain que les conducteurs les plus dangereux seront ainsi pénalisés?

La vitesse est assurément une prise de risque qui doit être prudemment appréciée. «Plus vous roulez vite, plus les conséquences sont irréversibles»: le slogan accolé à la campagne évoquée plus haut est irréfutable. Comme il ne serait pas raisonnable de tendre vers une vitesse nulle pour garantir une sécurité absolue sur la route, le problème est de bien de savoir jauger la vitesse adaptée selon toute une série de paramètres: le profil de la route, l’état de la chaussée, la densité du trafic, mais aussi et peut-être surtout l’état du conducteur. Un simple rhume peut avoir autant de conséquence qu’une alcoolisation.

L’attention obsessionnelle accordée aux limites légales –par définition très générales et dont on oublie que ce sont des maximas– tend à exonérer le conducteur de cet incessant travail d’arbitrage. Les limitateurs de vitesse, qui se répandent à la vitesse d’implantation des radars, favorisent une conduite à vitesse excessivement constante potentiellement dangereuse. Sans parler des risques d’hypovigilance engendrés par la monotonie et la déresponsabilisation qui en résultent.

On entend souvent dire que la vitesse est la première cause d’accidents de la route. Si elle est incontestablement un facteur aggravant, rien ne permet pourtant de l’affirmer. «La vitesse excessive est la cause principale de 26% des accidents mortels», nous affirme-t-on. Les facteurs sont, en réalité, multiples et la vitesse inadaptée souvent associée à l’alcool, première origine de la mort sur les routes.

Rares sont les études qui tentent d’évaluer la part de chaque causalité dans l’accidentologie. Une enquête menée en zone gendarmerie de 2002 à 2008 a cependant montré que le rôle de la vitesse excessive avait fortement décliné, dépassé par à la fois par l’inattention, le refus de priorité et l’alcoolémie.

Une autre étude de la revue Quarante millions d’automobilistes souligne l’importance de accidents mortels en ligne droite par perte de contrôle du véhicule. Elle incrimine la «somnolence» bien plus que la vitesse. On le sait, l’hypovigilance fait particulièrement des ravages sur l’autoroute. Une enquête de l’Argus a révélé qu’un conducteur pouvait dormir jusqu'à 11 minutes cumulées sur un trajet de 900 kms tout en arrivant à bon port avec un peu de chance.

La répression en matière de sécurité routière privilégie outrancièrement la vitesse. Celle-ci concentre 55% des retraits de points du permis de conduire contre seulement 9,5% pour l’alcoolémie! Alors même que la Sécurité routière et la Prévention routière insistent sur la variété des risques rencontrés sur la route, les pouvoirs publics et les forces de l’ordre s’en tiennent à la facilité qui consiste à cibler les excès de vitesse.
Les barèmes sont, au demeurant, contestables, tant il est vrai que rouler à 70 km/h en ville est autrement plus dangereux, au moins pour les autres, qu’à 150 km/h sur des autoroutes précisément dessinées pour cette vitesse de pointe.

Le lien entre vitesse et accidentologie n’en est pas moins avéré. Il suffit, pour s’en convaincre, de suivre l’évolution du nombre de morts sur les routes depuis le pic des années 1970 même si les progrès de la sécurité active et passive des véhicules y a eu sa part. Les limitations légales, les radars et le permis à points ont permis de sauver de nombreuses vies.

La question qui se pose désormais est de savoir s’il ne convient pas de diversifier la lutte contre l’insécurité routière pour mieux sanctionner tous les comportements dangereux au volant. Un accident sur dix serait dû au téléphone. De leur propre aveu, 22% des automobilistes (et même 47% des moins de 35 ans) lisent ou écrivent des SMS ou des emails en conduisant!

En cas de trafic dense, les distances de sécurité ne sont respectées que par une petite minorité de conducteurs, d’où les carambolages récurrents. La fatigue, l’assoupissement ou l’inattention, perceptibles dans ces trajectoires hésitantes que l’on croise si souvent sur le bitume, font des ravages.

Des voitures banalisées des forces de l’ordre en patrouille pourraient fort bien repérer et réprimer ces comportements. Nul doute qu’elles détecteraient ainsi les conducteurs imprudents et/ou alcoolisés. Cela ne les empêcheraient évidemment pas de pourchasser les grands excès de vitesse. Espérons, en tous cas, que les véhicules dotés de radars mobiles ne se contenteront pas d’enregistrer passivement la vélocité des citoyens dans une parfaite indifférence aux autres facteurs de dangerosité.

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