La gauche va-t-elle gober sans broncher les attaques convergentes de la droite et de l'extrême-droite contre ce qu'elles appellent le « multiculturalisme »?
« Je ne peux que le féliciter », a déclaré Marine le Pen, la nouvelle dirigeante du Front national, après que David Cameron, le Premier ministre britannique, a affirmé, le 5 février, que le multiculturalisme est un échec.
Quatre mois auparavant, en Allemagne, Angela Merkel, la Chancelière, avant lancé l'offensive des droites en déclarant que « cette approche a échoué, totalement échoué ».
Et lors de l'émission « Paroles de Français » sur TF1, vendredi, Nicolas Sarkozy, le chef d'Etat français, a apporté sa contribution à la disqualification du multiculturalisme en reprenant la même antienne. Dans son cas, on hésite quant au diagnostic : renversement complet ou incohérence ?
Il y a quelques années, en effet, quand il était ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy proposait la nomination d'un préfet musulman, en tant que tel, et jusqu'en 2009, il se faisait le chantre des idées qui animent les positions favorables au multiculturalisme, par exemple en promouvant la discrimination positive ou en installant, auprès du Premier ministre, un Commissaire en charge de la diversité, Yazid Sabeg.
Ces charges donnent l'image d'une grande cohérence idéologique des droites d'Europe – à noter qu'en réaction, le président russe Medvedev vient de rappeler son attachement au modèle multiculturel.
Un débat fourre-tout des droites contre l'islam
Mais que visent-elles ? En fait, d'abord et avant tout, non pas tant un ensemble de différences culturelles clairement identifiées, qui sont stricto sensu l'objet du multiculturalisme, mais une nébuleuse sémantique regroupant l'immigration, le terrorisme, la criminalité, la délinquance, l'insécurité et surtout, l'islam, c'est-à-dire une religion.
Otons l'islam du débat : que reste-t-il dans le rejet du « multiculturalisme » ? Les différences régionales, celles liées au genre, ou aux mœurs sexuelles, l'existence de communautés, en particulier venues d'Asie, qui n'ont guère de place dans les préoccupations de l'opinion et des médias… toutes thématiques intéressantes, certes, mais relativement secondaires aujourd'hui.
Le terme de multiculturalisme est inapproprié ici, car ce qui est en jeu est d'abord et avant tout une religion, et non une culture. Que celles-ci puissent se recouper est une évidence, mais cela n'autorise en aucune façon à les confondre, et à rejeter le multiculturalisme pour en réalité flatter l'islamophobie.
Un concept qui concilie droit, raison et respect des différences
Inadapté, le terme est aussi disqualifié dans cette communion des droites et extrêmes droites, pour devenir toute autre chose que ce que ses promoteurs tentent d'expliquer.
Il suffit de lire, par exemple, un de ses meilleurs théoriciens, le chercheur canadien Will Kymlicka, pour comprendre que le multiculturalisme, aussi bien dans son concept que dans les dispositifs institutionnels et politiques qui l'incarnent réellement, refuse toute tentation communautariste et au contraire concilie le droit et la raison, d'une part, et d'autre part le respect des différences.
Il est légitime et souhaitable qu'un chef d'Etat s'en prenne au terrorisme, à la violence, agisse pour mettre fin à la domination des groupes et de leurs leaders sur les individus relevant de minorités, à commencer par les femmes.
Mais imputer ces maux au multiculturalisme, c'est en faire un bouc émissaire trop commode, ou, au mieux, ne s'intéresser qu'aux dérives des modèles qu'il promeut, et non à ces modèles eux-mêmes.
Que signifie l'injonction de l'intégration des immigrés ?
La critique du multiculturalisme par les droites et les extrêmes-droites comporte une dimension qui mérite d'être soulignée : elle va de pair avec l'appel à l'intégration des immigrés.
Cet appel est toujours présenté comme une nécessité pour la nation, pour la société dans son ensemble, et jamais du point de vue des immigrés.
Ceux-ci sont alors définis comme autant de problèmes ou de sources de difficultés, rien d'autres, et le message qui leur est adressé est vite si peu conforme aux réalités de leur expérience sociale qu'il ne peut être qu'incantatoire, et répressif : que signifie l'injonction de l'intégration, si les moyens de la réussir ne sont guère proposés ?
Tempéré, le multiculturalisme est une opportunité pour la gauche
Il y a néanmoins un avantage dans ce rejet par les droites et extrêmes droites du multiculturalisme au nom d'une intégration qui devient mythique : il interpelle les gauches.
Le concept, historiquement, a plutôt été de leur côté, mais il faut aussitôt ajouter qu'elles ont toujours été divisées dès qu'il s'agissait de le promouvoir.
En France, notamment, l'attachement à l'idéal républicain, version nationale des valeurs universelles, s'est souvent soldé, y compris à gauche, par un refus de tout ce qui semble déboucher sur une reconnaissance des minorités, et sur un encouragement, dès lors, aux horreurs du communautarisme.
Qui voudrait vivre dans le Liban de la guerre civile, ou dans l'ex-Yougoslavie de la purification ethnique ? Mais, vingt ans après l'effondrement du régime soviétique, et, surtout, au moment où les peuples se soulèvent en Egypte et en Tunisie contre des régimes dictatoriaux, de tels exemples ne devraient pas interdire à la gauche de s'inquiéter tout autant des dérives autoritaires et brutales auxquelles l'universalisme abstrait peut lui aussi aboutir.
Le multiculturalisme bien tempéré, s'il fait l'objet d'évaluations régulières, s'il est expérimenté avec prudence, et sans généralisation prématurée, n'est pas nécessairement l'abomination que dénoncent les droites et les extrêmes droites, il pourrait même apporter des solutions à une gauche soucieuse d'articuler le respect absolu des valeurs universelles, et celui des différences.
La gauche aurait bien tort d'être paresseuse, ou idéologique, et de se contenter d'embrayer le pas aux droites et aux extrêmes droites.
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