Le journalisme est à un tournant de son histoire. Observant la situation en France et aux Etats-Unis, Ignacio Ramonet n'a aucun mal à nous convaincre qu'il y a même péril en la demeure : fragmentation du lectorat, difficultés économiques, tyrannie du tout-gratuit, surabondance des sites et des sources, prolifération des blogs, expansion des réseaux sociaux...
Tout concourt à révolutionner l'univers de l'information. Sous nos yeux, "le journalisme traditionnel se désintègre", explique l'ancien directeur du Monde diplomatique, qui parle d'un basculement de "l'ère des médias de masse à celle de la masse de médias".Il n'est pas le premier à décrire cette "explosion du journalisme", mais certains faits saillants méritaient d'être rappelés. "Entre 2003 et 2008, la diffusion mondiale des quotidiens payants s'est effondrée de 7,9 % en Europe et de 10,6 % en Amérique du Nord." Aux Etats-Unis, cent vingt journaux ont disparu.
En France, les quotidiens sont à la peine, soutenus à bout de bras par des "aides à la presse" qui les maintiennent dans "une dépendance croissante et malsaine" à l'égard de l'Etat.
Hier, analyse Ignacio Ramonet, les médias vendaient de l'information aux citoyens. Aujourd'hui, ils la leur fournissent gratuitement. Du coup, "c'est le nombre de clics effectués par les internautes sur les bannières publicitaires qui déterminent la rentabilité d'une information". "Pas sa fiabilité ni sa crédibilité."
"Mondialisation néolibérale"
Le succès des sites d'information compense très largement, en termes d'audience, le recul de leurs éditions papier, note-t-il. Mais en termes financiers, le compte n'y est pas : "En 2008, l'audience du New York Times sur Internet a été dix fois supérieure à celle de son édition imprimée. Cependant ses revenus publicitaires sur le Web ont été dix fois inférieurs à ceux de l'édition papier. Conclusion : pour que la publicité sur le Web rapporte, le nombre de lecteurs sur écran doit être cent fois plus important que celui de la version papier."
Ignacio Ramonet juge sévèrement les dérives imputables aux journalistes eux-mêmes et à la "poignée d'oligarques" qui contrôlent en France et ailleurs les grands groupes de communication.
On ne s'étonnera pas de l'entendre chercher des explications du côté de la "mondialisation néolibérale".
Au-delà de cette formule passe-partout, il met l'accent sur "l'obsession de la rapidité, de l'immédiateté, qui conduit les médias à multiplier les erreurs". Il brosse un portrait criant de vérité des journalistes "dominants" qui vivent "hors sol, sans vrai contact avec la société". Il leur reproche leur "complicité permanente, de consanguinité, avec la classe politique, elle-même largement désavouée".
Sans pilote, sans boussole, les médias installés doivent se faire à l'idée qu'ils ne sont plus les seuls à tirer les ficelles. Des "journalistes citoyens" leur font la leçon. Des sites comme WikiLeaks étalent au grand jour leurs lacunes...
Paradoxalement et même si son essai suggère le contraire, Ignacio Ramonet considère qu'"il n'y a peut-être jamais eu de moment plus favorable pour être journaliste". Un journalisme régénéré, qui s'émanciperait des "tendances médiatiques actuelles (urgence, brièveté, simplicité, frivolité)".
Il juge que nous traversons une période d'adaptation des médias à un nouvel écosystème. Par un phénomène naturel de sélection, certains vont disparaître, d'autres vont s'affirmer. Tel est son diagnostic. En attendant...
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