Wednesday, 20 July 2011

La productivité détermine la compétitivité, pas la dépréciation de la monnaie


Eric Ng Ping Cheun, économiste:

Dans Man, Economy and State (1962), Murray Rothbard écrit que "more Nonsense has been written about balances of payments than about virtually any Other aspect of economics".

Encore marqués par la double dévaluation de la Roupie d'il y a 30 ans, les Mauriciens vivent dans la hantise d'une balance des paiements "déficitaire". Notez l'utilisation des guillemets : par définition, le solde d'une balance est zéro du fait que les débits et les crédits doivent s'équilibrer, le compte courant étant la contrepartie comptable du compte capital.

Prenons un individu. Ses revenus peuvent être appelés exportations, et ses sources de revenus sont ses biens exportés. Ses dépenses peuvent être désignées comme des importations, et les produits qu'il achète sont ses biens importés. La différence entre ses revenus et ses dépenses représente son solde de liquidités (cash balance). Il est insensé de dire que sa balance commerciale est "favorable" si celui-ci augmente, ou "défavorable" s'il diminue. Tout échange est favorable du point de vue de l'individu, sinon il ne l'aurait pas fait.

Si l'on ajoute ses transactions de crédit à ses revenus et dépenses, on obtient la balance des paiements de l'individu. On peut réunir les balances des paiements de plusieurs individus, et créer des groupes. Dans ce cas, les balances des paiements ne peuvent enregistrer que les transactions entre groupes, mais pas celles entre les individus du même groupe. Remplacez le mot groupe par nation, et vous comprendrez que la balance des paiements nationale est vide de sens.

Un déficit du compte courant reflète un excès de demande sur l'offre, ou un excès  d'investissement sur l'épargne. Généralement, un déficit courant de 5% du produit intérieur brut (PIB) est un signal d'alarme pour l'économie.

Ici, il sera de 9% cette année. Cependant, le risque d'une crise financière est faible, car Maurice a des réserves en devises équivalant à 10 mois d'importations, et sa dette extérieure ne constitue que 13% du PIB à mars dernier.

Ce qui est inquiétant avec notre déficit courant, c'est que l'offre ne suit pas le rythme de la demande. C'est encore plus grave si l'on exclue les transferts courants privés qui n'ont rien à faire avec l'offre et la demande : ils sont comme des entrées de capitaux, s'élevant à USD 101 millions au premier trimestre de 2011. Aussi, durant cette période, les revenus nets sur nos investissements internationaux sont positifs (USD 82 millions).

Entre-temps, les Mauriciens ont reçu USD 165 millions sur la vente des actions à l'extérieur, mais les étrangers ont rapatrié USD 207 millions sur la vente des actions locales. Et Maurice n'a attiré que USD 35 millions d'investissements directs étrangers, tout en obtenant USD 126 millions d'aide des gouvernements étrangers.

Tous ces flux expriment le fait que la balance des paiements est un concept monétaire. Elle n'existe pas dans une économie de troc. La monnaie est l'élément actif de la balance des paiements, et non un item résiduel qui ajuste les flux réels des biens et des capitaux. Pendant longtemps on a considéré celle-ci comme une "régularisation" de la balance commerciale, à savoir qu'un pays qui importe plus qu'il n'exporte doit de l'argent aux autres. Cette conception a été revue par l'approche monétaire de la balance des paiements.

Il faut voir l'économie mondiale comme un marché unitaire avec une offre et une demande de monnaie. Le Fonds monétaire international (FMI) postule que les mouvements internationaux de liquidités sont la conséquence du solde commercial. En vérité, ils en sont la cause. Les liquidités sont réparties parmi les individus de tous les pays en fonction de l'intensité de la demande de monnaie. C'est en raison de la faible demande globale de dollars, due à l'assouplissement quantitatif de la Fed, que nous avons une roupie forte et une balance des paiements "excédentaire" (entrée nette de capitaux).

Une autre prémisse erronée du FMI, c'est que la balance des paiements détermine le taux de change. Celui-ci est plutôt dicté par le pouvoir d'achat de chaque monnaie, le taux d'équilibre devant refléter la parité du pouvoir d'achat. Lorsque le taux de change s'éloigne de cette position d'équilibre, il devient profitable d'acheter (de vendre) des biens avec la monnaie qui est sous-évaluée (surévaluée) par rapport au taux d'équilibre. Si c'est le dollar qui est sous-évalué vis-à-vis de la roupie, on doit saisir cette opportunité en achetant des dollars, et alors le billet vert s'appréciera jusqu'à atteindre la position d'équilibre.

Les taux de change varient parce que la quantité de monnaie varie, et c'est à ce niveau que la banque centrale agit. Le volume du commerce extérieur, lui, est complètement dépendant des prix : ni les exportations ni les importations ne peuvent se réaliser sans qu'il existe des différences de prix qui rendent les échanges profitables. Les achats et les ventes déterminent en premier lieu l'état de la balance des paiements qui, ensuite, influence le marché des devises.

Ainsi, un compte courant déficitaire n'est pas un argument pour affaiblir la monnaie locale. Un déficit ou un surplus ne sont pas des faits de nature auxquels le taux de change doit s'adapter. Les politiques de la banque centrale affectent les prix domestiques qui, à leur tour, influencent les échanges. Une réduction de notre déficit commercial ne passe pas par une dépréciation de la roupie, mais par une baisse des coûts qui stimulera la production. En termes de dollar, les produits mauriciens seront non seulement moins chers que les produits importés, mais aussi plus attrayants aux consommateurs étrangers. Ce n'est pas une possibilité théorique, c'est une route praticable.

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