Brigitte Masson
Dans une Note de Veille Sociétale diffusée il y a quelques semaines (i), Moriscopie attirait l'attention des observateurs sur les résultats alarmants de certains indicateurs sociaux (ii). Le malaise social et économique que nous avions mis en exergue se double d'un malaise symbolique tout à fait inédit. Au-delà de la dégradation de leurs conditions de vie, les Mauriciens vivent aujourd'hui une crise existentielle qui va bien au-delà des discours convenus sur les difficultés des « groupes vulnérables », ou le mantra récent sur la crise internationale.
Depuis l'indépendance, les Mauriciens qui ont choisi de rester au pays ont développé un sentiment d'appartenance nationale fondé sur plusieurs fiertés partagées : la beauté de l'île, la qualité de vie, la chaleur humaine, la richesse multiculturelle, le développement en marche. Ces représentations positives qui ont fait la réussite de notre construction nationale sont remplacées progressivement par une série de constats négatifs : environnement dégradé, bétonnage intensif, stress social urbain, perte de valeurs, qualité de vie détériorée, développement à deux vitesses. Le Mauricien ne se reconnaît plus dans ce qu'il vit. Il voit se déliter quotidiennement sous ses yeux les fondements même de sa fierté identitaire. Il ne se reconnaît plus dans son propre pays.
Deux exemples pour illustrer ce propos : le fameux slogan « Mauritius c'est un plaisir » que les Mauriciens ont violemment refusé de s'approprier, et le nom du parti créé dernièrement par un groupe de jeunes « Ralliement Citoyen pour la Patrie », comme si le pays était en danger et devait re-naître en tant que patrie.
Les récents développements commerciaux sont venus exacerber cette brèche dans les représentations identitaires. Le Mauricien se trouve pris en étau entre plusieurs réalités contradictoires : l'aspiration à la modernité vs la disparition des valeurs traditionnelles d'une part, l'aspiration à consommer vs les restrictions financières, d'autre part. A cette confrontation entre les deux modèles, se rajoute la frustration de se sentir régresser par rapport aux acquis de la génération précédente. Plein emploi, mobilité sociale et consommation frénétique sont désormais derrière nous, et les enfants de la génération du boom économique le savent très bien.
Nous vivons actuellement une période transitoire instable. Tant que la situation économique permettra au plus grand nombre de vivre correctement, la paix sociale restera sous contrôle. Mais en l'absence d'une politique d'emploi concertée, qu'arrivera-t-il demain si le chômage des jeunes continue à augmenter ? En l'absence d'une politique de construction de logements pour la classe moyenne, que se passera-t-il quand les jeunes couples ne pourront plus quitter le toit de leurs parents ? Quand ils ne pourront plus nourrir correctement leurs enfants en raison de la cherté des prix ?
En l'absence de fierté identitaire pour colmater les fractures sociales, le malaise pourrait bien se transformer en désespérance, et la désespérance en manifestations de violence. Pour l'instant, celles-ci sont plutôt tournées vers soi ou son propre entourage. Elles pourraient demain se tourner vers l'Autre, vers les autres, dans un mouvement de désolidarisation pathogène, lourd de conséquences pour la sérénité nationale.
Il est temps d'arrêter de faire l'autruche ou de désigner moult boucs-émissaires en fonction des agendas personnels. Il nous faut prendre la mesure de ces menaces et réfléchir ensemble sur les réponses à y apporter.
i) Moriscopie - Note de Veille Sociétale (juin 2012)
ii) Deux ménages sur trois ont vu leur situation financière se détériorer par rapport à l'année dernière ; 45% des jeunes déclarent passer plus de deux heures quotidiennement dans les transports ; la moitié des ménages ne peuvent profiter des développements commerciaux et de loisirs par manque de moyens ou par manque de transport ; 55% des Mauriciens souhaitent émigrer, dont 84% des jeunes de 18 à 24 ans.
Dans une Note de Veille Sociétale diffusée il y a quelques semaines (i), Moriscopie attirait l'attention des observateurs sur les résultats alarmants de certains indicateurs sociaux (ii). Le malaise social et économique que nous avions mis en exergue se double d'un malaise symbolique tout à fait inédit. Au-delà de la dégradation de leurs conditions de vie, les Mauriciens vivent aujourd'hui une crise existentielle qui va bien au-delà des discours convenus sur les difficultés des « groupes vulnérables », ou le mantra récent sur la crise internationale.
Depuis l'indépendance, les Mauriciens qui ont choisi de rester au pays ont développé un sentiment d'appartenance nationale fondé sur plusieurs fiertés partagées : la beauté de l'île, la qualité de vie, la chaleur humaine, la richesse multiculturelle, le développement en marche. Ces représentations positives qui ont fait la réussite de notre construction nationale sont remplacées progressivement par une série de constats négatifs : environnement dégradé, bétonnage intensif, stress social urbain, perte de valeurs, qualité de vie détériorée, développement à deux vitesses. Le Mauricien ne se reconnaît plus dans ce qu'il vit. Il voit se déliter quotidiennement sous ses yeux les fondements même de sa fierté identitaire. Il ne se reconnaît plus dans son propre pays.
Deux exemples pour illustrer ce propos : le fameux slogan « Mauritius c'est un plaisir » que les Mauriciens ont violemment refusé de s'approprier, et le nom du parti créé dernièrement par un groupe de jeunes « Ralliement Citoyen pour la Patrie », comme si le pays était en danger et devait re-naître en tant que patrie.
Les récents développements commerciaux sont venus exacerber cette brèche dans les représentations identitaires. Le Mauricien se trouve pris en étau entre plusieurs réalités contradictoires : l'aspiration à la modernité vs la disparition des valeurs traditionnelles d'une part, l'aspiration à consommer vs les restrictions financières, d'autre part. A cette confrontation entre les deux modèles, se rajoute la frustration de se sentir régresser par rapport aux acquis de la génération précédente. Plein emploi, mobilité sociale et consommation frénétique sont désormais derrière nous, et les enfants de la génération du boom économique le savent très bien.
Nous vivons actuellement une période transitoire instable. Tant que la situation économique permettra au plus grand nombre de vivre correctement, la paix sociale restera sous contrôle. Mais en l'absence d'une politique d'emploi concertée, qu'arrivera-t-il demain si le chômage des jeunes continue à augmenter ? En l'absence d'une politique de construction de logements pour la classe moyenne, que se passera-t-il quand les jeunes couples ne pourront plus quitter le toit de leurs parents ? Quand ils ne pourront plus nourrir correctement leurs enfants en raison de la cherté des prix ?
En l'absence de fierté identitaire pour colmater les fractures sociales, le malaise pourrait bien se transformer en désespérance, et la désespérance en manifestations de violence. Pour l'instant, celles-ci sont plutôt tournées vers soi ou son propre entourage. Elles pourraient demain se tourner vers l'Autre, vers les autres, dans un mouvement de désolidarisation pathogène, lourd de conséquences pour la sérénité nationale.
Il est temps d'arrêter de faire l'autruche ou de désigner moult boucs-émissaires en fonction des agendas personnels. Il nous faut prendre la mesure de ces menaces et réfléchir ensemble sur les réponses à y apporter.
i) Moriscopie - Note de Veille Sociétale (juin 2012)
ii) Deux ménages sur trois ont vu leur situation financière se détériorer par rapport à l'année dernière ; 45% des jeunes déclarent passer plus de deux heures quotidiennement dans les transports ; la moitié des ménages ne peuvent profiter des développements commerciaux et de loisirs par manque de moyens ou par manque de transport ; 55% des Mauriciens souhaitent émigrer, dont 84% des jeunes de 18 à 24 ans.
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