Daniel Verdú
Si l’effondrement financier de l’Islande en 2008 a souvent été interprété comme une prémonition de la crise européenne, peut-être est-il temps de s’inspirer des solutions que le pays a mis en oeuvre pour s'en sortir.
A la différence du sud de l’Europe, où les restrictions budgétaires et les hausses d’impôts ont laissé la culture exsangue, ce pays de 320 000 habitants de la taille du Portugal a investi depuis 2008 dans le secteur de l’industrie culturelle. Les retombées économiques de cet investissement (1 milliard d’euros par an) sont deux fois plus importantes que celles de l’agriculture, et le secteur créatif talonne de près la première industrie du pays – et première source d’exportation – la pêche.
Et tout cela grâce, en partie, à une petite bonne femme de 37 ans, la ministre de la Culture, Katrín Jakobsdóttir, qui pendant quatre ans au gouvernement a choisi de mettre les artistes en avant et d’en faire les acteurs de la reprise économique du pays.
Aujourd’hui le taux de chômage est de 5,7% et le pays affiche une croissance de 3%. Certes le pays a dévalué sa monnaie et laissé couler les banques en refusant de payer sa dette extérieure. Mais une bonne partie de la reprise est tout de même à mettre au crédit de cette sorte de New Deal artistique. Pourtant, le 27 avril prochain, lors des premières élections organisées depuis que le pays a réussi à surmonter la crise, cette approche inédite pourrait prendre fin.
Les Islandais ont apparemment la mémoire courte et le parti conservateur, qui était aux commandes quand le pays s’est effondré (la Bourse avait chuté de 90% et le PIB de 7 points) est aujourd’hui grand favori des sondages. La coalition formée par le Parti Vert et les sociaux-démocrates, à laquelle appartient le Premier Ministre Jóhanna Sigurðardóttir (la première femme à occuper ce poste) est en difficulté. La ministre de la Culture, sans doute l’élément la plus charismatique du gouvernement, ne l'ignore pas. Dans son bureau qui donne sur le port de Rejkavik, elle revient sur son mandat qu’elle associe symboliquement à la construction de la spectaculaire salle de concert Harpa. Le chantier avait été interrompu par la crise et en le relançant, elle a voulu en faire la métaphore de la volonté du gouvernement de créer des richesses en développant les arts.
"Nous considérons la culture comme la base du secteur créatif, qui constitue une part de plus en plus importante de notre économie. Quand j’ai été nommée ministre, la culture était pour moi une question de survie. Et c’est ce que j’essaie faire comprendre aux gens : la culture est un facteur économique très important. Et elle rapporte autant que l’industrie de l’aluminium", explique-t-elle.
Le gouvernement a procédé à des ajustements budgétaires. Il a dégraissé les ministères et réduit les coûts fixes. Mais cela ne l’a pas empêché d’augmenter le financement de projets culturels indépendants. Cette collaboration très souple entre public et privé n’a cependant jamais donné lieu à un désengagement de l’Etat en matière de culture et d’éducation.
La musique d’abord. 80% des jeunes (surtout dans les villages) jouent d’un instrument et apprennent le solfège. Et cela se traduit par des dizaines de groupes avec un rayonnement international. Si la plupart des touristes sont attirés par la beauté de l’île, 70% des jeunes selon un sondage récent font le voyage pour écouter de la musique. C’était déjà le cas en 2006 avec la création d’un organisme en charge de la promotion de la musique islandaise à l’étranger sous la houlette de Sigtryggur Baldursson, ancien batteur des Sugarcubes, le groupe des débuts de Björk qui a contribué à forger la réputation musicale de l’île. D’après cet organisme, 43 groupes islandais ont joué l’année dernière à l’étranger.
En parallèle, le secteur des logiciels et des jeux vidéos connaît une croissance exponentielle. "C’est un dérivé de la culture et il donne beaucoup de travail aux gens du secteur, notamment aux illustrateurs", explique la ministre. Quant au septième art, depuis qu’une nouvelle loi rembourse les coûts de production des films tournés en Islande, les cinéastes affluent : Ridley Scott a ainsi tourné son Prometheus et Darren Aronofsky, son Noé.
Mais quand l’argent et le champagne coulaient encore à flot, de nombreuses personnes voyaient déjà dans la culture la seule planche de salut pour l’Islande. L’écrivain et poète Andri Magnason dénonçait en 2006 dans son ouvrage Dreamland un modèle économique basé sur l’argent facile et la spéculation. "Pendant les années de prospérité, le gouvernement a concentré ses efforts sur le développement des banques, de l’aluminium et de l’énergie hydraulique qui détruisent l’environnement. Certains d’entre nous souhaitaient une économie de la créativité et non de l’argent facile", écrivait-il alors. D’où cette alliance étrange entre les protecteurs de la nature et les "fondus de nouvelles technologies", rappelle Andri Magnason.
Björk et d’autres personnalités de l’île se sont intéressées au mouvement. "Et quand la crise est arrivée, il y avait déjà un mouvement enraciné où étaient impliqués de nombreux jeunes", rappelle l'écrivain. Des groupes de travail se sont rassemblés au sein d'un "Ministère des Idées" qui siège dans une ancienne usine des environs de Reykjavik.
Mais Andri Magnason reconnaît également l’importance du rôle joué par le gouvernement. "Les théâtres ont prospéré, la vie littéraire a retrouvé un nouveau souffle (60 écrivains sont soutenus par le gouvernement chaque année), la production cinématographique a connu une embellie tout comme la scène musicale. Ce soutien porte ses fruits dans l’économie. Les arts ne se développent pas parallèlement à l’économie, ils sont essentiels à la bonne santé économique du pays", démontre-t-il. Alors pourquoi les gens veulent-ils voter de nouveau pour le parti conservateur ? "Sans doute regrettent-ils leur Range Rover", lance le musicien Olafur Arnalds dans un café de Reykjavík.
Ce modèle est-il pour autant exportable dans des pays comme l’Espagne ou l’Italie, où les habitants, comme les problèmes économiques, sont 150 fois plus nombreux ? Andri Magnason en est convaincu. "C’est valable dans la majorité des situations. Le problème de l’Europe et surtout de l’Italie et de l’Espagne, c’est toute cette jeunesse désœuvrée sans projet et dont le gouvernement et l’industrie se désintéressent. C’est un véritable gâchis de talents !" Peut-être faut-il attendre de toucher le fond ?
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