Tuesday, 29 April 2014

* Bien ou mal manger n’est pas qu’une question de revenus mais surtout le fait de la désinformation

 
Les recherches sur les aliments santé proviennent en grande partie des États-Unis ou du Canada. Comment expliquez-vous cela ?

Richard Béliveau est docteur en biochimie, directeur scientifique du laboratoire de médecine moléculaire et de la chaire en traitement du cancer à l'université du Québec à Montréal. Coauteur avec Denis Gingras de L'alimentation anti-âge : L’épidémie de l’obésité et la crise de la malbouffe nous ont touchés bien avant vous et les coûts et impacts sont si conséquents sur notre société qu’ils obligent les politiques à réagir, à l’exemple de Mme Obama qui en a fait un enjeu majeur de sa communication de première dame. Dans des régions comme le Mississippi, on compte jusqu’à 88% d’obésité ! Au Canada, c’est désormais la moitié du budget de l’État qui doit être consacré à la santé. On assiste à une rupture de la transmission des connaissances culinaires entre mères et filles. Aujourd’hui, la ménagère américaine connaît moins de huit recettes de cuisine. Ce désert culinaire a été comblé par l’industrie agroalimentaire et la vague d’épidémies de santé dues à la malbouffe rejoint l’Europe et même la France. Des bastions comme la Crète ou l’île d’Okinawa, des modèles de l’alimentation saine, sont désormais touchés : la culture des pizzas et des crackers a ainsi envahi l’île japonaise des centenaires au contact des bases américaines qui y sont installées.

Peut-on se soigner avec l’alimentation ?

On n’a pas testé à ce jour d’aliments au cours de maladies comme on le ferait avec des médicaments. Il faudrait avoir recours aux mêmes méthodes d’évaluation avec le même ordre de coûts (300 à 400 millions d’euros pour la mise sur le marché d’un médicament). Il y a peu de chance qu’un producteur de brocolis rentabilise son investissement... En revanche, dans le domaine de la prévention, on sait, grâce à des cohortes d’études populationnelles menées sur des dizaines de milliers de personnes que certains aliments réduisent les risques de maladies ou augmentent la survie suite à une maladie grave. En cardiologie, par exemple, un centre à Montréal suit les patients victimes d’infarctus : on les fait bouger et on les oriente vers le régime méditerranéen, réduisant ainsi leur risque de mortalité de 30%. Idéalement, suite à un cancer, on devrait se voir « prescrire » un régime anticancer... On sait, par exemple, que trois portions hebdomadaires de choux et de brocolis augmentent la survie de 60% chez les personnes ayant été touchées par un cancer de la vessie.

Vous dites qu’il n’est jamais trop tard pour changer son alimentation...

Tout à fait. De nombreuses études l’ont montré : même après 65 ans si l’on introduit du thé vert ou des polyphénols alimentaires (fruits rouges, chocolat, agrumes, vin rouge, pommes, oignons...), on constate un effet de protection et de réduction du déclin cognitif notamment. Un seul aliment peut à lui seul inverser très positivement les paramètres de santé. Ainsi, une cuillère à soupe par jour de graines de lin moulues permet de baisser de 50 % les marqueurs moléculaires de l’inflammation, ceci en seulement un à deux mois.

Maladies cardiovasculaires, cancer, diabète de type 2, maladie d’Alzheimer : en quoi ces maladies seraient causées par l’alimentation ?

Elles ont comme dénominateur commun l’inflammation chronique qui crée un environnement propice à leur développement. Notre alimentation est devenue pro-inflammatoire en modifiant les équilibres entre oméga 6 et oméga 3 : aujourd’hui, on compte six fois plus d’oméga 6 dans nos assiettes que d’oméga 3 alors que leurs apports devraient être équivalents. Le sirop de maïs et l’huile de maïs largement utilisés par les industriels contribuent à cette prévalence des oméga 6 pro-inflammatoires. Pour comprendre l’impact sur le cancer, je donne souvent l’image d’une graine : conservée au frigo, elle ne pousse pas, mise en terre à la lumière avec de l’eau, elle grandit. C’est pareil pour les gènes du cancer : l’inflammation leur permet de s’exprimer. De manière simpliste il faut comprendre que lorsqu’on est gras, on est « inflammé » via les adipocytes notamment. Or, l’obésité, l’hypertension et le cholestérol – des maladies liées à l’excès de mauvaises graisses – augmentent de 600 % le risque de maladie d’Alzheimer et de déclin cognitif.

Vous appelez finalement chacun à prendre en main sa santé...

Chacun d’entre nous est responsable de sa santé et de celle de ses enfants. Arrêtons de penser que nos maux ne sont dus qu’à la malchance, à la pollution ou à la génétique ! C’est notre alimentation et notre façon de vivre qui modulent nos prédispositions et la majorité des centenaires doivent leur longévité à leur mode de vie plus qu’à la chance ou à l’hérédité. Pour preuve, les enfants adoptés ont les mêmes taux de cancer que leurs parents adoptifs ! Enfin, bien ou mal manger n’est pas qu’une question de revenus mais surtout le fait de la désinformation et des campagnes de publicité massives des industriels qui dépensent chaque année des milliards en publicité et lobbying.

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