Le titre de son excellent essai est limpide: Total bullshit! Voilà le fautif. La billevesée, la foutaise, le baratin qui leste le discours de la politique, de la communication, de la publicité.
Le Temps: L’hégémonie du bullshit est-elle vraiment dangereuse?
Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l'Université de Fribourg: Je ne dis pas que nous vivons dans un monde de post-vérité qui serait terrifiant et pervers. Je m’interroge plutôt sur ce que ce monde pourrait être, comme dans 1984 de George Orwell. Heureusement, il y a des raisons de penser qu’il s’agit d’un phénomène qui ne peut pas dépasser certaines limites. Il n’y aura plus de raison de bullshitter s’il n’y a un jour que du bullshit!
La vérité n’est-elle pas assez forte pour lui résister?
On peut laisser la vérité faire son travail en espérant qu’elle s’imposera, grâce à sa force d’attraction. Cela peut prendre beaucoup de temps et, parfois, de sang. La vérité ne sort pas facilement de son puits. Il est souvent difficile de l’obtenir. L’une des propriétés de la post-vérité est la volonté d’imposer son point de vue, sa propre vérité, son opinion, sa voix, son identité sans s’interroger sur le bien-fondé de ce qu’on dit. Comme s’il était aujourd’hui inconvenant de poser la question de la valeur d’un point de vue. Nous disons: «Mon point de vue est aussi valable que le vôtre». Cette manière d’être est aujourd’hui commune.
Vous semblez sceptique sur la valeur de l’éducation pour résister au bullshit.
C’est bien sûr une piste intéressante. Mais s’il l’on dit que l’éducation est la solution, cela implique qu’elle fait aussi partie du problème. Je ne suis pas certain que l’école a contribué à produire des adultes qui sont désormais insensibles à la vérité et à la réalité objective. Est-ce que la majorité des gens ne vérifient plus du tout leurs informations? Bien sûr que si.
Vous prônez un retour à la fiction. Pourquoi?
Postuler que nous vivons dans un monde de post-vérité, c’est dire que nous vivons aussi dans un monde de post-fiction. Nous ne serions plus capables de distinguer la réalité de la fiction à force de mettre du faux dans le vrai. Si la réalité souffre de ce phénomène, la fiction en souffre également. Il faut d’un côté encourager l’éducation, la vérification des faits, le rationalisme. Mais aussi la vraie fiction, cet exercice de l’imagination et de la fantaisie humaine. Elle pourrait rétablir du même coup le respect pour la réalité.
Vous recommandez une autre approche, plus efficace selon vous.
Il s’agit de l’arme qui a montré le plus d’efficacité dans l’histoire: la satire. La moquerie est souvent le meilleur moyen de dégonfler cette baudruche qu’est le bullshit. L’art de ridiculiser les hypocrites et les prétentieux est si précieux. Le problème est que cela demande un certain talent. Tout le monde n’est pas Jonathan Swift ou George Orwell.
Mais les satiristes d’aujourd’hui, par exemple à la télévision, n’aggravent-ils pas le phénomène à force de dérision et de ricanement sur n’importe qui et n’importe quoi? N’alimentent-ils pas la perte de confiance envers les institutions?
C’est une critique que je peux entendre. Mais est-elle vraie? Pour moi, il n’y a pas de bon ou de mauvais humour. Il y a des humoristes qui ont du talent et d’autres qui ont en moins. La satire fait toujours deviner un arrière-fond normatif. Le ridicule accentue les défauts de quelqu’un, pousse jusqu’à l’absurde la logique supposée d’un propos. Le satiriste tente toujours de dévoiler ce que devrait être l’ordre normal des choses. C’est pourquoi la satire a toujours une dimension tragique et morale. Elle suscite le respect. Elle fait appel à l’intelligence des gens.
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