Qualifié pour le prochain tour de la Ligue des Champions au détriment de son contre-exemple, le flambeur Manchester City, le Bayern conjugue depuis toujours ambition sportive et équilibre économique.
Bâtir une équipe capable de remporter la Ligue des champions tout en gagnant de l’argent… Un rêve inaccessible, une belle illusion ? Eh bien non. Le Bayern Munich offre la preuve éclatante qu’un club peut amasser de confortables profits, tout en battant les plus grands, qui creusent pour leur part des déficits abyssaux. Mercredi soir [le 7 décembre], les Bavarois se sont inclinés sur le terrain de Manchester City. Mais si les Anglais, aux mains de richissimes et dépensiers cheikhs émiratis, ont gagné la bataille, le Bayern, qualifié depuis le match précédent et d'une stabilité financière à toute épreuve, a gagné la guerre. L’an dernier, le club bavarois a réussi l’exploit d’aligner son dix-neuvième exercice bénéficiaire consécutif. Ses profits nets sont, certes, plutôt modestes puisqu’ils n’ont pas dépassé 1,3 million d’euros pour un chiffre d’affaires total de 328,5 millions. Mais gagner de l’argent dans le football est déjà une performance en soi. Le FC Bayern München, FCB pour les initiés, fait encore plus fort en parvenant à accroître tous les ans ses réserves financières. Ses coffres contiennent aujourd’hui la bagatelle de 129,1 millions d’euros de liquidités.
De tels chiffres doivent laisser rêveurs un bon nombre de clubs européens, qui devront bientôt se soumettre aux règles très strictes du "fair-play financier" dictées par l’UEFA. En Angleterre, la dette cumulée par Manchester United, Arsenal, Chelsea et Liverpool dépasse à elle seule… 1,3 milliard d’euros. Et la "Liga de las Estrellas", 1re division espagnole, croulait à la fin de la saison 2009/10 sous 3,4 milliards d’euros de dettes. Les finances du Real Madrid affichent à elles seules un trou abyssal de 660 millions d’euros. Mais le FC Barcelone (549 millions) et Valence (470 millions) font à peine mieux. Six des vingt clubs de l’élite ibérique ont même été placés en redressement judiciaire après qu’ils se sont déclarés en cessation de paiement. Le Bayern Munich aurait-il trouvé la recette miracle pour avoir une équipe compétitive sans dépenser plus que de raison? Loin de là. Dans ce club, point d’oligarques ou d’émirs qui dépensent sans compter pour flatter leur ego… L’encadrement est juste composé d’hommes du cru au fort accent bavarois et au bon sens paysan.
"La philosophie du club est très conservatrice et elle n’a jamais changé d’un iota : ne pas dépenser plus d’argent que l’on n’en gagne", résume Hartmut Zastrow, le cofondateur de l’agence d’étude et du conseil en marketing sportif, Sport + Markt. "Cette politique les a beaucoup fait souffrir dans le passé, car ils n’arrivaient pas à avoir une équipe suffisamment forte pour pouvoir rivaliser avec les tout meilleurs dans les compétitions européennes." L’arrivée du Français Franck Ribéry en 2007, suivie deux ans plus tard par celle du Néerlandais Arjen Robben, marqua un pas important dans la politique du club, qui acceptait pour une des premières fois de son histoire de délier les cordons de sa bourse afin de s’offrir deux stars internationales.
Même si on reste bien loin des 94 millions d’euros engloutis par le Real pour arracher Cristiano Ronaldo à Manchester United, ces deux transfuges en provenance de Marseille et du Real Madrid ont respectivement coûté 30 et 25 millions d’euros. Ces recrutements font toutefois presque figure d’exception à Munich, où on continue à privilégier la formation de jeunes pousses telles que Holger Badstuber ou Thomas Müller. Les étrangers tentés par l’aventure bavaroise ne doivent pas non plus s’attendre à recevoir des émoluments de vedette hollywoodienne. La masse salariale du club ne représente en effet même pas 48% de ses revenus. On est loin des extrêmes enregistrés à Manchester City (107%), au Real Mallorca (124%) ou au Real Zaragoza (145%). Le FCB aimerait pourtant encore réduire ces charges. Son directeur sportif, Christian Nerlinger, estime que "les salaires ont atteint un plafond, c’est pourquoi nous devons savoir raison garder. Les joueurs ne doivent pas penser qu’une prolongation de contrat signifie automatiquement plus d’argent." De telles déclarations n’encouragent pourtant pas les stars du club à s’expatrier.
"Les joueurs apprécient l’atmosphère familiale que le Bayern est parvenu à maintenir", assure M. Zastrow. "Beaucoup d’anciens sportifs ont d’ailleurs été intégrés dans l’effectif de la société à la fin de leur carrière ou quand ils ont connu des soucis." L’ancien attaquant vedette, Gerd Müller, est ainsi sorti de l’alcoolisme qui le ravageait dans les années 1980 quand son ancienne équipe l’a recruté dans son encadrement.
Mais le Bayern n’est pas seulement devenu maître dans l’art de ne pas dépenser sans compter. Ses dirigeants ont développé au fil des années un véritable talent pour trouver de l’argent frais. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. A la fin des années 1970, les revenus du club ne dépassaient pas... 6 millions d’euros.
Le "sorcier" qui est parvenu à transformer ce club régional en un poids lourd européen est Uli Hoeness. Ce milieu offensif, qui a remporté à trois reprises la Coupe des Champions sous le maillot du Bayern ainsi que la Coupe du monde en 1974, a été manager du FCB pendant vingt ans avant de prendre la succession de Franz Beckenbauer à la présidence en 2009. Talentueux sur les pelouses, ce joueur s’est révélé être un homme d’affaires redoutable quand il a pris sa retraite sportive au jeune âge de 27 ans. "Je suis une locomotive", expliquait-il au quotidien financier Handelsblatt. "Ma plus grande force est dans le marketing et la vente de produits." Au fil des ans, pas moins de vingt-six sponsors ont dépensé une petite fortune pour voir leur nom accolé à celui du Bayern. Deutsche Telekom engloutit, à lui seul, 20 à 24 millions d’euros par an. Les "partenaires premium", parmi lesquels figurent Paulaner, Lufthansa, Samsung ou Coca-Cola déboursent pour leur part entre 2 et 5 millions d’euros par saison.
Audi a été encore plus loin en acquérant en 2009 9,09% du capital du FCB contre le versement de 90 millions d’euros. Sept ans plus tôt, Adidas avait racheté 9,4% des parts de l’association, qui est toujours contrôlée par ses membres, pour 77 millions d’euros. Les recettes en sponsoring atteignent ainsi entre 80 et 100 millions d’euros par exercice, quand les autres poids lourds de la Bundesliga trouvent à peine 20 à 30 millions. Ce succès n’est pas seulement dû au prestige de l’institution.
Le soin tout particulier que le champion bavarois consacre à ses clients n’est pas dénué d’arrière-pensées. Avec seulement 39,2 millions d’euros de recettes tirées des droits télévisés l’an dernier en raison notamment de l’échec des chaînes payantes en Allemagne, Munich ne peut pas rivaliser avec le Real et Barcelone, qui tirent chacun 135 millions d’euros de rentes du petit écran. Pour trouver de l’argent, ses dirigeants doivent donc séduire les sponsors et les fans... Uli Hoeness a toujours pris garde de bien traiter les amateurs de ballon rond. Le club possède à lui seul près de 171 500 membres, et ses 2950 fan-clubs officiels regroupent 204 300 personnes. Le Bayern serait, selon Sport + Markt, la cinquième équipe la plus populaire d’Europe avec 20,7 millions de supporters dont 10,7 d’étrangers. Pour rester populaire et ne pas devenir un "nid de riches", le FCB offre de nombreux billets à prix réduit. Les places debout juste derrière les buts ne coûtent ainsi pas plus de 15 euros et les sièges les plus chers ne dépassent pas 70 euros. Cette politique tarifaire raisonnable permet aux fans des "rouge et blanc" de dépenser plus en produits dérivés... Munich parvient ainsi à générer plus de 14 euros pour chacun de ses supporters. Seuls la Juventus fait mieux en Europe (15,50 euros). "Nous sommes devenus une des marques les plus fortes et les plus rentables dans le monde du football", s’enorgueillit Karl-Heinz Rummenigge, une ancienne star de l’équipe qui préside aujourd’hui son conseil d’administration. Les histoires de famille se passent parfois bien...
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