Interview de Stefano Liberti, auteur du livre Land grabbing et du documentaire Mare chiuso
Nous nous trouvons effectivement face à un incroyable paradoxe. L’Europe adopte une position ambiguë : du point de vue commercial, elle maintient une attitude d’ouverture ; pourtant en ce qui concerne l’immigration, elle adopte des mesures très coûteuses et peu efficaces ! Par un déploiement de moyens colossaux, un millier de personnes ont été interceptées en mer depuis 2009 pendant leur traversée vers l’Italie. Ils étaient de nationalités diverses : bon nombre provenaient de zones de conflit et n’ont même pas pu demander asile.
Parlons du land grabbing. Pouvons-nous encore définir ce phénomène comme le "colonialisme du XXI siècle" ? Dans votre livre, vous soulignez aussi les responsabilités des gouvernements locaux.
Le contrôle des échanges commerciaux de la part des anciennes puissances coloniales est une séquelle de la fin du colonialisme. Aujourd’hui comme alors, on reproduit avec le phénomène de land grabbing un mécanisme de spoliation. Pourtant de nos jours les gouvernements locaux ont une responsabilité dans le phénomène, car ils acceptent des contrats iniques dans le seul but de renforcer leur position ou d’alimenter leur réseau.
Selon vous, quel rôle peuvent jouer les institutions internationales et la société civile pour endiguer ce phénomène ?
Les principales institutions internationales, comme la FAO et la Banque mondiale, se sont exprimées en faveur des premières acquisitions en terre étrangère. Elles les voyaient comme des opportunités d’investissement, comme par exemple dans le secteur agricole qui, rappelons-le, en a extrêmement besoin. Elles cherchent désormais à mettre un frein et à se repositionner en appliquant des codes de conduite qui ne sont pas suffisamment efficaces.
Le problème vient du fait que ces mêmes institutions soutiennent un modèle culturel inapplicable. On a d’un côté des environnements ruraux fondés sur l’agriculture à échelle humaine, sur un rapport d’échange avec la terre, sur le savoir paysan transmis de génération en génération. De l’autre, un modèle industriel qui voit la terre comme une marchandise et se base sur la concentration des terrains, sur les traitements chimiques et sur la monoculture.
Pour la société civile, il est difficile d’intervenir dans ce contexte. Il existe quelques petites lueurs d’espoir, comme l’épisode de Fanaye, au Sénégal, où la mobilisation citoyenne a bloqué un projet naissant. Mais il s’agit ici de petits foyers contestataires, et dans de nombreux pays la répression fait naître une peur qui bloque toute réaction. Ensuite les populations directement touchées sont les populations rurales, souvent moins organisées.
Et en Occident, comment peuvent intervenir les simples citoyens ? Doivent-ils porter davantage d’attention à leurs investissements ?
Les citoyens peuvent essayer de réclamer une plus grande transparence à leurs gestionnaires de capitaux. Il s’agit d’un domaine extrêmement complexe. Des règles précises et des recherches indépendantes permettraient de faire des choix d’investissement en connaissance de cause. En Europe du Nord, par exemple, la situation est dramatique, de nombreux fonds de pension se sont révélés impliqués dans des investissements sur des terres fertiles.
Pouvons-nous dire non au land grabbing en privilégiant les produits locaux dans notre consommation quotidienne ?
Évidemment et c’est primordial. Les simples citoyens peuvent adopter des habitudes de consommation plus conscientes, privilégier la filière courte, les produits frais et de saison. Il faut cependant distinguer l’éthique individuelle de l’action collective. Je pense qu’il est nécessaire d’aller plus loin pour entraîner un véritable changement au niveau mondial : la politique doit assumer son travail de régulation par des subventions et des mesures désincitatives. Des interventions publiques immédiates et concrètes sont nécessaires pour apporter un véritable changement.
Comme vous le décrivez bien dans votre livre Land grabbing, les biens et
les capitaux voyagent sans problème, parfois au dépit des droits des
populations locales. Le déplacement des êtres humains est en revanche traité
comme le véritable phénomène déviant, c’est ce que vous nous montrez dans le
film Mare chiuso. Que pensez-vous de cette contradiction ?
Nous nous trouvons effectivement face à un incroyable paradoxe. L’Europe adopte une position ambiguë : du point de vue commercial, elle maintient une attitude d’ouverture ; pourtant en ce qui concerne l’immigration, elle adopte des mesures très coûteuses et peu efficaces ! Par un déploiement de moyens colossaux, un millier de personnes ont été interceptées en mer depuis 2009 pendant leur traversée vers l’Italie. Ils étaient de nationalités diverses : bon nombre provenaient de zones de conflit et n’ont même pas pu demander asile.
Parlons du land grabbing. Pouvons-nous encore définir ce phénomène comme le "colonialisme du XXI siècle" ? Dans votre livre, vous soulignez aussi les responsabilités des gouvernements locaux.
Le contrôle des échanges commerciaux de la part des anciennes puissances coloniales est une séquelle de la fin du colonialisme. Aujourd’hui comme alors, on reproduit avec le phénomène de land grabbing un mécanisme de spoliation. Pourtant de nos jours les gouvernements locaux ont une responsabilité dans le phénomène, car ils acceptent des contrats iniques dans le seul but de renforcer leur position ou d’alimenter leur réseau.
Selon vous, quel rôle peuvent jouer les institutions internationales et la société civile pour endiguer ce phénomène ?
Les principales institutions internationales, comme la FAO et la Banque mondiale, se sont exprimées en faveur des premières acquisitions en terre étrangère. Elles les voyaient comme des opportunités d’investissement, comme par exemple dans le secteur agricole qui, rappelons-le, en a extrêmement besoin. Elles cherchent désormais à mettre un frein et à se repositionner en appliquant des codes de conduite qui ne sont pas suffisamment efficaces.
Le problème vient du fait que ces mêmes institutions soutiennent un modèle culturel inapplicable. On a d’un côté des environnements ruraux fondés sur l’agriculture à échelle humaine, sur un rapport d’échange avec la terre, sur le savoir paysan transmis de génération en génération. De l’autre, un modèle industriel qui voit la terre comme une marchandise et se base sur la concentration des terrains, sur les traitements chimiques et sur la monoculture.
Pour la société civile, il est difficile d’intervenir dans ce contexte. Il existe quelques petites lueurs d’espoir, comme l’épisode de Fanaye, au Sénégal, où la mobilisation citoyenne a bloqué un projet naissant. Mais il s’agit ici de petits foyers contestataires, et dans de nombreux pays la répression fait naître une peur qui bloque toute réaction. Ensuite les populations directement touchées sont les populations rurales, souvent moins organisées.
Et en Occident, comment peuvent intervenir les simples citoyens ? Doivent-ils porter davantage d’attention à leurs investissements ?
Les citoyens peuvent essayer de réclamer une plus grande transparence à leurs gestionnaires de capitaux. Il s’agit d’un domaine extrêmement complexe. Des règles précises et des recherches indépendantes permettraient de faire des choix d’investissement en connaissance de cause. En Europe du Nord, par exemple, la situation est dramatique, de nombreux fonds de pension se sont révélés impliqués dans des investissements sur des terres fertiles.
Pouvons-nous dire non au land grabbing en privilégiant les produits locaux dans notre consommation quotidienne ?
Évidemment et c’est primordial. Les simples citoyens peuvent adopter des habitudes de consommation plus conscientes, privilégier la filière courte, les produits frais et de saison. Il faut cependant distinguer l’éthique individuelle de l’action collective. Je pense qu’il est nécessaire d’aller plus loin pour entraîner un véritable changement au niveau mondial : la politique doit assumer son travail de régulation par des subventions et des mesures désincitatives. Des interventions publiques immédiates et concrètes sont nécessaires pour apporter un véritable changement.
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