On attribue aux Amérindiens du Canada
cette formule rendue célèbre par Greenpeace : « When the Last Tree Is
Cut Down, the Last Fish Eaten, and the Last Stream Poisoned, You Will
Realize That You Cannot Eat Money. »
Cet adage amérindien exprime bien l'enjeu majeur de notre survie collective et individuelle. Aujourd'hui l'économique domine la planète. Il est devenu comme un cheval fou qui galope à bride abattue sans cavalier. Créé pour être au service du bien-être et du développement des humains, l'économique semble s'être affranchi de toute tutelle et se déploie désormais dans des sphères incontrôlées dont le commun des mortels est bien incapable de saisir la complexité. Ceci est d'autant plus vrai que la récente crise économique a prouvé l'opacité d'un système transnational qui dépossède souvent les Etats de leur pouvoir de contrôle.
L'histoire coloniale mauricienne explique, en grande partie, l'importance qu'a pris l'économique dans la vie du pays. Devenue indépendante et devant compter sur ses propres ressources pour se développer, Maurice a donné la priorité à l'économique sur le social. Promouvoir le développement économique et financier était un impératif de survie pour le pays au moment de l'Indépendance. Ce qui pouvait se justifier comme situation de transition est devenu, au fil des décennies après l'Indépendance, un mode de vie.
Aujourd'hui, l'emprise de l'économique sur nos vies se traduit par ce qu'on appelle - presque avec légèreté - « la société de consommation ». Consommer est devenu non seulement un passe-temps mais un mode de vie. Alors que le shopping touristique en Malaisie, à Singapour ou en Chine se poursuit, il est souvent accompagné de transactions commerciales à but lucratif. On connaît tous ces compatriotes revenus de voyage et qui organisent une vente des produits achetés pendant leur voyage d'agrément. Joindre l'utile à l'agréable a toujours été un des points forts des Mauriciens. La multiplication excessive des « shopping malls » relève de la même logique, ainsi que la construction des hôtels-champignons destinés aux touristes fortunés censés apporter la manne dans leurs valises à roulettes.
« Gagner de l'argent »
Il ne s'agit pas de cracher dans la soupe du développement économique mais d'évaluer le coût humain et environnemental d'un tel choix ainsi que le type de société et de relations que cela induit à Maurice. Parce que beaucoup ont connu la pauvreté si ce n'est la misère, un des objectifs principaux de la vie du Mauricien est de « gagner de l'argent ». Mais ce qui est très perturbant, c'est que beaucoup de Mauriciens sont prêts à gagner de l'argent à n'importe quel prix. L'économique dicte le comportement. En effet, il n'est plus honteux de corrompre et d'être corrompu si cela rapporte. Il n'est plus honteux de tricher, d'écraser d'autres, de voler des travaux intellectuels, de faire jouer les relations et les passe-droits au lieu des compétences, du moment que cela peut permettre la promotion individuelle et une amélioration du compte en banque. Cette mentalité est si répandue que nos jeunes en sont imprégnés. La compétition est promue non seulement comme moyen acceptable, mais comme moyen indispensable de réussite sociale. Celui qui n'est pas dans la course est éliminé sans pitié.
L'acquisition de l'argent est si importante que toutes les autres valeurs lui sont soumises. C'est ainsi que le politique lui-même se soumet à l'économique. Les intérêts particuliers finissent le plus souvent par l'emporter sur le bien commun et le système s'est transformé en non-système afin de favoriser son exploitation outrancière par ceux qui en ont le contrôle et le mode d'emploi. Le système que constituent l'organisation administrative et la gestion des projets et des finances publics s'est transformé, petit à petit, en non-système, c'est-à-dire en une structure d'incompétence qui se paralyse et se sclérose lui-même, devenant incapable de se réformer ou d'être réformé, jusqu'à implosion éventuelle.
C'est ainsi que, dans bon nombre d'administrations mauriciennes, le système permet tout juste de faire rouler les affaires afin d'éviter le chaos. Un petit groupe de personnes fait le travail de tous, pendant que les privilégiés bénéficient des avantages du système sans avoir ni compétences ni sens de la responsabilité ni créativité. Plus dramatiquement encore, le système verrouille les mécanismes de contrôle de façon à rendre l'ensemble opaque et impossible à pénétrer par des non-initiés. Usant des failles qu'il entretient, le système permet la manipulation et l'allocation de contrats sans contrôle collectif, peu ou pas de supervision de leur mise en œuvre et réduit à l'impuissance et au silence ceux qui voudraient critiquer ou dénoncer ces pratiques. L'important est de se remplir les poches, de renvoyer l'image de la réussite sociale à tout prix, quitte à écraser quelques personnes et à égratigner quelques valeurs au passage.
Les monstres cachés
Les événements qui viennent de se produire s'inscrivent dramatiquement dans le droit fil du système mauricien. Onze personnes y ont injustement perdu la vie. Derrière la façade du paradis en deuil se dressent maintenant tant de monstres cachés, que l'on avait soigneusement dissimulés. A proprement parler, il ne s'agit pas d'une révélation. Car le système fonctionne les yeux ouverts. Les yeux des Mauriciens sont ouverts et voient la corruption et les malversations depuis longtemps, mais le drame a cette faculté d'enlever brutalement et de façon inattendue le voile d'opacité qui enveloppe le système qui, du coup, ne peut plus se cacher. Alors se multiplient les « actions ». Il y a le déploiement de la solidarité. Celle-ci est réelle et efficace pour soulager et soutenir les victimes qui en ont besoin. Mais les dysfonctionnements structurels, dénoncés depuis longtemps dans des études, rapports et prises de position citoyennes, demeureront très probablement inchangés. Une certaine agitation aura lieu. On brisera des parapets de béton que des audits de professionnels avaient déconseillés et qui auront été construits en dépit du bon sens et largement financés par le travailleur mauricien. On nettoiera le Ruisseau du Pouce, haut-lieu si symbolique d'une politique généralisée de la médiocrité et de la bêtise !
Mais ceux dont la précarité structurelle a été un moment dévoilée et qui dérange le paysage paradisiaque seront vite refoulés dans l'obscurité, dans ces lieux que nous avons l'impudeur d'appeler « poches de pauvreté » et qui sont des gouffres de misère et de lutte dans lesquels se débattent injustement et depuis longtemps des familles entières. On s'étonne que des non-victimes soient venues réclamer leur part des dons généreusement offerts par la population mauricienne. Mais n'est-ce pas ce qui se passe régulièrement dans notre pays ? L'indécence de leur geste n'est pas plus choquante que les vols organisés dans l'opacité des bureaux à l'abri des regards ou que les arbres jetés à terre pour construire de nouveaux bâtiments dont les revenus profiteront à certains – non pas bien nés – mais bien choisis et élus par ceux qui détiennent le pouvoir et que nous avons élus. Oui, nos élus ont leurs élus. Malheureux celui qui ose le dire ouvertement !
La faillite du politique
Les terres fertiles d'Ebène sont maintenant ensevelies sous des tours de béton, sans planification, sans infrastructure cohérente, sans jardin, sans verdure. Elles ont été ensevelies dans la tombe des ambitions économiques sans autre souci qu'elles-mêmes. Notre pays se défigure ostensiblement, mais qui s'en émeut dans la sphère politique… C'est l'économique qui mène le monde et qui signe la faillite du politique, cette instance censée gérer la vie en commun pour le bien de tous. Le politique est devenu une instance qui s'est approprié le pouvoir que nous lui avons délégué par nos votes, pour servir les intérêts de quelques-uns. Certes le Rapport de la Commission Justice et Vérité existe et il a fait de très nombreuses recommandations qui, mises en œuvre, pourraient réellement faire progresser le pays, mais, comme beaucoup d'autres rapports, il ira se loger au fond d'un tiroir avant la prochaine crise ou le prochain drame.
Lorsqu'on arrive à Plaisance en descendant de l'avion, on est accueilli par un grand panneau qui dit : « Welcome to Paradise ! » Le pire, c'est qu'on y croit. Cela fait partie de la légende mauricienne entretenue par ceux qui veulent maintenir, sur notre pensée, une chape d'ignorance et de silence. Les événements du Caudan ont fragilisé cette chape. Provoqueront-ils un changement structurel ? Rien n'est moins sûr. Car certains pensent encore que l'on peut manger l'argent et qu'il suffira à notre survie. C'est pourquoi ils continuent impunément de détruire, construire, polluer, nettoyer et aller dans les instances internationales présenter des rapports. Ah ! Les rapports ! La légende continue… Pour qu'un changement structurel advienne, il faudrait un sursaut éthique qui, jusqu'à présent, ne semble pas avoir effleuré nos politiques. Mais c'est un sujet qui réclamerait un autre article…
Cet adage amérindien exprime bien l'enjeu majeur de notre survie collective et individuelle. Aujourd'hui l'économique domine la planète. Il est devenu comme un cheval fou qui galope à bride abattue sans cavalier. Créé pour être au service du bien-être et du développement des humains, l'économique semble s'être affranchi de toute tutelle et se déploie désormais dans des sphères incontrôlées dont le commun des mortels est bien incapable de saisir la complexité. Ceci est d'autant plus vrai que la récente crise économique a prouvé l'opacité d'un système transnational qui dépossède souvent les Etats de leur pouvoir de contrôle.
L'histoire coloniale mauricienne explique, en grande partie, l'importance qu'a pris l'économique dans la vie du pays. Devenue indépendante et devant compter sur ses propres ressources pour se développer, Maurice a donné la priorité à l'économique sur le social. Promouvoir le développement économique et financier était un impératif de survie pour le pays au moment de l'Indépendance. Ce qui pouvait se justifier comme situation de transition est devenu, au fil des décennies après l'Indépendance, un mode de vie.
Aujourd'hui, l'emprise de l'économique sur nos vies se traduit par ce qu'on appelle - presque avec légèreté - « la société de consommation ». Consommer est devenu non seulement un passe-temps mais un mode de vie. Alors que le shopping touristique en Malaisie, à Singapour ou en Chine se poursuit, il est souvent accompagné de transactions commerciales à but lucratif. On connaît tous ces compatriotes revenus de voyage et qui organisent une vente des produits achetés pendant leur voyage d'agrément. Joindre l'utile à l'agréable a toujours été un des points forts des Mauriciens. La multiplication excessive des « shopping malls » relève de la même logique, ainsi que la construction des hôtels-champignons destinés aux touristes fortunés censés apporter la manne dans leurs valises à roulettes.
« Gagner de l'argent »
Il ne s'agit pas de cracher dans la soupe du développement économique mais d'évaluer le coût humain et environnemental d'un tel choix ainsi que le type de société et de relations que cela induit à Maurice. Parce que beaucoup ont connu la pauvreté si ce n'est la misère, un des objectifs principaux de la vie du Mauricien est de « gagner de l'argent ». Mais ce qui est très perturbant, c'est que beaucoup de Mauriciens sont prêts à gagner de l'argent à n'importe quel prix. L'économique dicte le comportement. En effet, il n'est plus honteux de corrompre et d'être corrompu si cela rapporte. Il n'est plus honteux de tricher, d'écraser d'autres, de voler des travaux intellectuels, de faire jouer les relations et les passe-droits au lieu des compétences, du moment que cela peut permettre la promotion individuelle et une amélioration du compte en banque. Cette mentalité est si répandue que nos jeunes en sont imprégnés. La compétition est promue non seulement comme moyen acceptable, mais comme moyen indispensable de réussite sociale. Celui qui n'est pas dans la course est éliminé sans pitié.
L'acquisition de l'argent est si importante que toutes les autres valeurs lui sont soumises. C'est ainsi que le politique lui-même se soumet à l'économique. Les intérêts particuliers finissent le plus souvent par l'emporter sur le bien commun et le système s'est transformé en non-système afin de favoriser son exploitation outrancière par ceux qui en ont le contrôle et le mode d'emploi. Le système que constituent l'organisation administrative et la gestion des projets et des finances publics s'est transformé, petit à petit, en non-système, c'est-à-dire en une structure d'incompétence qui se paralyse et se sclérose lui-même, devenant incapable de se réformer ou d'être réformé, jusqu'à implosion éventuelle.
C'est ainsi que, dans bon nombre d'administrations mauriciennes, le système permet tout juste de faire rouler les affaires afin d'éviter le chaos. Un petit groupe de personnes fait le travail de tous, pendant que les privilégiés bénéficient des avantages du système sans avoir ni compétences ni sens de la responsabilité ni créativité. Plus dramatiquement encore, le système verrouille les mécanismes de contrôle de façon à rendre l'ensemble opaque et impossible à pénétrer par des non-initiés. Usant des failles qu'il entretient, le système permet la manipulation et l'allocation de contrats sans contrôle collectif, peu ou pas de supervision de leur mise en œuvre et réduit à l'impuissance et au silence ceux qui voudraient critiquer ou dénoncer ces pratiques. L'important est de se remplir les poches, de renvoyer l'image de la réussite sociale à tout prix, quitte à écraser quelques personnes et à égratigner quelques valeurs au passage.
Les monstres cachés
Les événements qui viennent de se produire s'inscrivent dramatiquement dans le droit fil du système mauricien. Onze personnes y ont injustement perdu la vie. Derrière la façade du paradis en deuil se dressent maintenant tant de monstres cachés, que l'on avait soigneusement dissimulés. A proprement parler, il ne s'agit pas d'une révélation. Car le système fonctionne les yeux ouverts. Les yeux des Mauriciens sont ouverts et voient la corruption et les malversations depuis longtemps, mais le drame a cette faculté d'enlever brutalement et de façon inattendue le voile d'opacité qui enveloppe le système qui, du coup, ne peut plus se cacher. Alors se multiplient les « actions ». Il y a le déploiement de la solidarité. Celle-ci est réelle et efficace pour soulager et soutenir les victimes qui en ont besoin. Mais les dysfonctionnements structurels, dénoncés depuis longtemps dans des études, rapports et prises de position citoyennes, demeureront très probablement inchangés. Une certaine agitation aura lieu. On brisera des parapets de béton que des audits de professionnels avaient déconseillés et qui auront été construits en dépit du bon sens et largement financés par le travailleur mauricien. On nettoiera le Ruisseau du Pouce, haut-lieu si symbolique d'une politique généralisée de la médiocrité et de la bêtise !
Mais ceux dont la précarité structurelle a été un moment dévoilée et qui dérange le paysage paradisiaque seront vite refoulés dans l'obscurité, dans ces lieux que nous avons l'impudeur d'appeler « poches de pauvreté » et qui sont des gouffres de misère et de lutte dans lesquels se débattent injustement et depuis longtemps des familles entières. On s'étonne que des non-victimes soient venues réclamer leur part des dons généreusement offerts par la population mauricienne. Mais n'est-ce pas ce qui se passe régulièrement dans notre pays ? L'indécence de leur geste n'est pas plus choquante que les vols organisés dans l'opacité des bureaux à l'abri des regards ou que les arbres jetés à terre pour construire de nouveaux bâtiments dont les revenus profiteront à certains – non pas bien nés – mais bien choisis et élus par ceux qui détiennent le pouvoir et que nous avons élus. Oui, nos élus ont leurs élus. Malheureux celui qui ose le dire ouvertement !
La faillite du politique
Les terres fertiles d'Ebène sont maintenant ensevelies sous des tours de béton, sans planification, sans infrastructure cohérente, sans jardin, sans verdure. Elles ont été ensevelies dans la tombe des ambitions économiques sans autre souci qu'elles-mêmes. Notre pays se défigure ostensiblement, mais qui s'en émeut dans la sphère politique… C'est l'économique qui mène le monde et qui signe la faillite du politique, cette instance censée gérer la vie en commun pour le bien de tous. Le politique est devenu une instance qui s'est approprié le pouvoir que nous lui avons délégué par nos votes, pour servir les intérêts de quelques-uns. Certes le Rapport de la Commission Justice et Vérité existe et il a fait de très nombreuses recommandations qui, mises en œuvre, pourraient réellement faire progresser le pays, mais, comme beaucoup d'autres rapports, il ira se loger au fond d'un tiroir avant la prochaine crise ou le prochain drame.
Lorsqu'on arrive à Plaisance en descendant de l'avion, on est accueilli par un grand panneau qui dit : « Welcome to Paradise ! » Le pire, c'est qu'on y croit. Cela fait partie de la légende mauricienne entretenue par ceux qui veulent maintenir, sur notre pensée, une chape d'ignorance et de silence. Les événements du Caudan ont fragilisé cette chape. Provoqueront-ils un changement structurel ? Rien n'est moins sûr. Car certains pensent encore que l'on peut manger l'argent et qu'il suffira à notre survie. C'est pourquoi ils continuent impunément de détruire, construire, polluer, nettoyer et aller dans les instances internationales présenter des rapports. Ah ! Les rapports ! La légende continue… Pour qu'un changement structurel advienne, il faudrait un sursaut éthique qui, jusqu'à présent, ne semble pas avoir effleuré nos politiques. Mais c'est un sujet qui réclamerait un autre article…
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