Thursday, 8 August 2024

Polémique, la Cène en scène sur la Seine ? « La parodie du religieux a toujours fait partie de la culture populaire française »

Le spécialiste du religieux et politiste Olivier Roy analyse la controverse qui a suivi la prestation de Philippe Katerine lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Il y voit l’illustration de ce qu’il appelle la “sainte ignorance”.

 Alors, dernier souper ou mise en bouche? Cène ou mise en scène? Dieu ou Dionysos? Peu importe! La polémique révèle surtout le fossé culturel qui sépare ce qui reste de chrétiens croyants (ici tendance tradi) et la société française. Dans le banquet de la chair et de la bonne chère exhibé sur la Seine lors de l’ouverture des Jeux, les catholiques ont immédiatement reconnu la Cène et exigé un copyright sur une séquence religieuse qui est au coeur même de leur foi (l’incarnation). Ce faisant, ils refusent que la culture profane s’empare de cet événement fondateur, alors même que la parodie du religieux a toujours fait partie de la culture populaire française (que l’on songe aux carnavals).

Ils revendiquent désormais la séparation entre le religieux et une culture devenue profane, et donc assument un divorce qu’ils ont été les premiers à déplorer : la société française n’est plus chrétienne.De son côté, la culture profane semble avoir tout oublié de ses origines chrétiennes : si la dénégation des metteurs en scène fonctionne (« Nous n’avons pas voulu nous moquer du christianisme »), c’est sans doute que peu de gens dans le public savaient ce qu’est la Cène. Car pour se moquer, il faut connaître ce dont on se moque, ou du moins le reconnaître quand il se manifeste.

 C’est bien le temps de la sainte ignorance ! Le religieux rejette la culture dominante car païenne, et le païen est tellement païen qu’il ne sait même pas de quoi il lui faudrait se repentir. Mais ce qui est intéressant, c’est aussi la séquence suivante. Comment laver l’affront ?

On a vu se déployer deux registres : faut-il répare rune offense faite au croyant, ou bien expier un blasphème qui fait souffrir Dieu? Dans le premier registre, on demande à la justice des hommes de réparer la souffrance infligée à une communauté spécifique : les chrétiens pratiquants. Et voici que Jean-Luc Mélenchon entre en scène à son tour (1). Il condamne l’offense faite aux chrétiens. Serait-il devenu le Judas de la laïcité ? Va-t-il s’approcher de la Table consacrée ? Bien sûr que non. En fait il ouvre aux catholiques la porte de son club : bienvenue à la table des minorités souffrantes, des racisé·e·s, des LGBT et des musulmans. Bienvenue chez les victimes, les incompris, les invisibilisés. L’affaire des « Versets sataniques » n’est pas si loin : pour éviter la violence du fanatique, pourquoi ne pas écouter d’abord la plainte du croyant qui souffre. Un petit coup de « cancel culture » et on annule la cause de la souffrance ; on efface cette « appropriation culturelle » commise par une élite artistique aux dépens d’une minorité dont on interprète la foi comme une simple identité. La compassion est le stade suprême de la sécularisation. 

Mais il semble que la hiérarchie catholique ait senti le piège. Du film de Rivette « la Religieuse », en 1967, aux scandales de « Piss Christ » et « Golgota picnic »,en passant par « la Dernière Tentation du Christ » de Scorsese, toutes les tentatives de demander à la justice laïque réparation contre le blasphème ont été des échecs prévisibles, car Dieu n’est pas un sujet de droit. Si l’on veut éviter la violence qui transmuerait avec « les Versets sataniques », le seul moyen est d’offrir à Dieu la souffrance du croyant en expiation du blasphème et non d’en faire un marqueur identitaire.

(1) « A quoi bon risquer de blesser les croyants ? Même quand on est anticlérical ! Nous parlions au monde ce soir-là », a écrit sur son blog Jean-Luc Mélenchon, après la cérémonie.

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