Ce n’est pas la roupie qui s’apprécie, mais l’euro qui se déprécie, affirment deux experts en taux de change. Joël Anaudin et Feroz Dahoo prennent en effet à contrepied ceux qui s’élèvent contre la roupie forte et insistent pour une dépréciation, voire une dévaluation de la monnaie locale. Une dépréciation de la roupie, préviennent-ils, ne fera qu’attiser l’inflation.
Les commentaires fusent ces temps-ci sur l’appréciation de la roupie vis-à-vis de l’euro. Tout un ramdam qui étonne le Dr Feroz Dahoo, observateur économique. « Tout le monde parle de l’appréciation de la roupie vis-à-vis de l’euro alors que c’est plutôt l’autre sens qui est vrai. C’est l’euro, une devise majeure, qui est en train de fluctuer étant donné le contexte global difficile », affirme-t-il. Avis que partage Joël Anaudin, consultant en trésorerie. « Ce n’est pas la roupie qui s’est appréciée, mais l’euro qui s’est déprécié vis-à-vis de la roupie et des autres monnaies internationales ». Ce qui n’empêche pas les entreprises de réclamer une dépréciation de la roupie. Une demande qui est loin d’être vue d’un bon œil par le Dr Feroz Dahoo. « Déprécier la roupie pour cacher l’incompétence des entreprises est un traitement qui tue. Nous ne pouvons jouer avec le système du taux de change et aller à l’encontre la force du marché », martèle-t-il.
Jouer à l’apprenti-sorcier
La dépréciation forcée de la roupie comporte des dangers, observe pour sa part Joël Anaudin. « En voulant pousser la Banque de Maurice à déprécier la roupie de façon anormale, les entreprises veulent faire en sorte que l’euro s’apprécie. Ce faisant, si la roupie se déprécie de cette façon, elle va aussi se déprécier rapidement et massivement vis-à-vis du dollar.
Cela va, de facto, générer une inflation importée très forte qui risque de renchérir les prix de tous les produits que nous importons. Si nous déprécions la roupie de manière artificielle, nous risquons en effet de générer une inflation massive dans le pays. Nous risquons en même temps de détruire nos réserves en devises. Donc, il faut faire très attention à vouloir jouer les apprentis-sorciers avec le taux de change », prévient-il.
Et qu’adviendra-t-il si l’on opte pour l’option de dévaluation de la roupie ? « On peut parler de dévaluation que lorsqu’il y a un contrôle du taux de change. Or, à Maurice, le taux de change est flottant et n’est pas fixe. Ce qui signifie qu’on ne peut initier une dévaluation », indique Joël Anaudin.
Le Dr Feroz Dahoo s’élève également contre toute politique de dépréciation ou dévaluation de la monnaie locale. « Maurice est un pays net importateur. Une dépréciation fera grimper les prix des produits importés. Même les intrants coûteront plus chers. Imaginez un scénario avec un baril de pétrole à 125 dollars qui est accentué par une dépréciation de la roupie. Tout cela est très dangereux », affirme-t-il.
D’où son insistance pour que la force du marché évolue librement. « On ne peut favoriser un groupe au détriment de la population. Au lieu de réclamer des interventions au niveau de la politique monétaire, les exportateurs doivent prendre des mesures pour contourner le risque du change. Tout comme une personne assure sa maison, une entreprise son bâtiment, une famille sa santé, les entreprises doivent pouvoir acheter des primes en devises pour se protéger », martèle Feroz Dahoo.
Joël Anaudin est sur la même longueur d’onde. « Si en juin 2011, quand l’euro s’échangeait à Rs 40, les entreprises exportatrices, dont l’année financière démarrent en juillet, avaient toute l’attitude pour prendre des mesures pour protéger leur budget contre la dépréciation de l’euro, beaucoup d’entres elles n’ont rien fait de concret et doivent aujourd’hui gérer dans l’urgence un problème de dépréciation de plus de 10 % de l’euro sur une période continue de huit mois.
Or il ne reste que quatre mois à ces entreprises pour boucler leur année financière. Cette gestion passive de l’exposition au risque de change pourra sévèrement entamer leur rentabilité. Ils subissent une baisse de la demande de leur produits et services sur le marché européen.», soutient-il. D’autant plus, poursuit-il, que les mesures de politique monétaire souhaitées par les opérateurs économiques ne constituent pas l’unique solution qui va aider les entreprises à sortir indemne ou sans grande blessure de la crise. «Si la Banque de Maurice décide de réduire le taux Repo, cela forcera les banques commerciales à baisser leur taux d’intérêt. Par conséquent, les ménages comme les entreprises verront le coût de leur endettements alléger graduellement. Mais, la plus grande part des efforts doit être faite par les entreprises d’exportation. Elles doivent, entre autre, faire l’effort d’apprendre à gérer leur risque de change et leur exposition à l’euro.
Or, actuellement, la majorité d’entre elles ne le font pas. Même si ce n’est pas toujours évident d’y avoir recours, il faut savoir que des outils de gestion de risque de change sont offerts par les banques. De plus, des moyens existent pour se familiariser à l’utilisation des outils de gestion de risque de change. Il existe des sociétés de consulting qui offrent aux entreprises qui le désirent un programme de formation dans la gestion de risque de change avec un accent particulier sur l’euro/roupie, le dollar/roupie ainsi qu’un plan de suivi sur une période de trois mois.
Il faut que les entreprises changent leur mentalité et fassent la transition entre un état d’esprit de gestion passive de risque de change à une posture de gestion proactive du risque de change », recommande-t-il. Surtout qu’avec la récession en Europe, les entreprises sont confrontées à un « effet ciseau » : une diminution de la demande des produits mauriciens doublée d’une baisse du prix de vente à l’exportation.
Cours de l’euro
Pour comprendre la parité de la roupie et l’euro, un retour en 2011 s’impose. L’euro s’est effondré sur la scène internationale à partir de mai, explique Joël Anaudin, pour deux raisons. D’une part, la Réserve fédérale a annoncé qu’il ne soutiendrait plus massivement les secteurs financiers car elle entrevoit une stabilisation de la récession aux États-Unis, une amélioration au niveau du chômage et une reprise graduelle de la consommation.
Les marchés financiers ont suivi en achetant massivement le dollar. D’autant plus qu’en Europe la crise de la dette grecque s’était intensifiée en juin. Les investisseurs craignaient un éclatement de la zone de l’euro et leur méfiance vis-à-vis de l’euro les a poussés à vendre massivement l’euro et à acheter le dollar qui est perçu comme une valeur refuge. Cette baisse générale de l’euro s’est aussi répercutée sur Maurice. On a ainsi constaté une dépréciation de l’euro contre la roupie.
Marché local Scène internationale
Janvier 2011 L’euro s’échangeait à Rs 39,50 L’euro flirtait à 1, 2875 dollar
Mai 2011 Euro à Rs 41 Euro à 1,4950 dollar
Décembre 2011 Euro à Rs 37 Euro à 1,29 dollar
1er mars 2012 Euro à Rs 38,45 Euro à 1,34 dollar
Euro : dépréciation ou appréciation en vue ?
Quelle sera l’évolution de l’euro dans les semaines et mois à venir ? « Cela va dépendre de deux facteurs. Si le taux du chômage aux États-Unis continue à baisser et que la consommation à s’accroître, le dollar va se renforcer au détriment de l’euro. Si à contrario, la situation du chômage s’aggrave et que la consommation baisse, les États-Unis prendront des mesures pour redresser l’économie.
Cela affectera le dollar favorisant ainsi l’euro. Si l’euro s’apprécie sur la scène internationale, il gagnera des forces à Maurice aussi et vice-versa », explique Joël Anaudin. Actuellement, précise-t-il, si on analyse l’évolution de la roupie sur une année, nous pouvons constater que la monnaie locale est stable voire légèrement soutenue en raison de la faiblesse de l’euro.
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