Wednesday, 23 July 2014

* Communalisme : à qui profite le crime ?

Adeet Thannoo
Il y a cette chose qui nous est donnée comme incontournable, une réalité obtuse, un mur des lamentations contre lequel tout bute et revient à la case départ : le peuple mauricien est « communal ». C’est faux. Le peuple mauricien croit qu’il est communal, parce qu’on lui a fait croire qu’il est communal. Qu’il doit être communal. Afin de pouvoir préserver sa culture, sa langue ancestrale, son « mode de vie », son pouvoir politique – à chacun sa tranche – son pouvoir tout court. On lui a fait croire que c’était un réflexe naturel et nécessaire.

Ce que cela a provoqué ? Une schizophrénie : une double personnalité, une personnalité éclatée. Une personnalité dans les lieux de rencontre : travail, lieux publics, entre amis, entre voisins, et une personnalité entre gens de la même origine ethnique, en famille, dans les lieux socioculturels. C’est cette schizophrénie qui déborde quelques fois dans des actes innommables, dans des propos qui échappent à ceux qui les tiennent (sur des sites sociaux par exemple). Mais c’est cette schizophrénie même qui atteste que notre bonne foi a été trompée. Car la personnalité pathologique c’est notre moi communaliste. On est tellement atteint qu’on pense que c’est celle-là notre véritable moi. Mais c’est l’autre, celle qui est ouverte, qui est conciliante, pacifique, d’un bon élan spontané, qui est notre moi naturel, humain. Tant d’occasions, tant d’événements l’ont démontré : les inondations du 30 mars 2013 en est le plus récent et peut- être parmi les plus probants, les plus éclatants.

Mais alors, pourquoi en est-on là ? Parce qu’il y a de ceux qui nous maintiennent dans cette phobie de l’autre, dans cette méfiance, cette paranoïa vis-à-vis de l’autre. Qui éventent cette flamme, qui la gardent brûlante, l’attisent, la maintiennent vivante. Et ce ne sont qu’accessoirement les politiciens. La fameuse question à poser, comme toujours, c’est à qui profite le crime ?

Notre société a été au fil des hasards, mais aussi des négociations entre politiques et gens des pouvoirs économiques, partagée ; conveniently shared. Tels et tels départements, corps paraétatiques, ministères, mais surtout commerces, secteurs d’activités économiques, sont devenus les chasses gardées de tels et tels particuliers, familles et groupes de personnes de telles et telles communautés.

Ce sont eux qui ont besoin que leurs parts du gâteau économique soient préservées ; ne soient pas réglementées comme il faut (car cela diminuerait leurs gains), ou soient réglementées selon leurs convenances pour que toujours la manne tombe sur eux seuls. Que rien ne soit démocratisé, ouvert à tous. Et pour cela, ils ont besoin, toujours, de quelqu’un de leur communauté pour les représenter car cela leur donne un moyen d’action sur ce représentant-là : si tu vas contre nos intérêts, la prochaine fois tu ne seras pas élu, ou on te fait virer. On prend l’autre. Ils ont l’argent, et le contrôle de leurs votants. Leurs moyens d’action sur ceux-là sont la promesse de protection, d’un emploi dans leur secteur, de promotions. C’est du capitalisme déguisé en communalisme.

Nou dan tousala, nou bann bater dolok ou ravann (selon), bann piper ki mem pa kone ki nou bann mouton e ki pe amenn nou par bout nou nene.Il faut que ce féodalisme cesse. Il y a une establishment qui, quel que soit le parti ou l’alliance qui accède au pouvoir, est toujours gagnante. Il faut que cette farce au nom de la démocratie cesse. Il faut récupérer la souveraineté de son vote.

C’est quoi la démocratie ? L’opinion majoritaire doit l’emporter. Cette majorité peut se faire soit par une allégeance émotionnelle nébuleuse construite autour d’une peur (peur de perdre certains avantages ou privilèges, peur que le garçon ou la fille ne trouve pas un emploi, peur de ne pas être soutenu dans son petit business), soit par une affiliation libre, raisonnée et consciente à une vision, un projet de société, un projet économique, une philosophie de l’avenir bénéfique à tous.

Dans le premier cas, cela veut dire qu’on a abdiqué sa liberté, qu’on cède au féodalisme, que c’est le règne de l’argent. Qu’on vote pour le candidat attitré, désigné par ceux qui en tirent le net avantage. Dans le deuxième cas, ce n’est pas nécessaire que le candidat pour qui on vote soit de sa communauté. Il suffit qu’on partage son rêve d’une île Maurice meilleure, enfin libre d’être fraternelle.

La majorité des mauriciens n’est pas communale, elle est juste embrigadée. C’est à cet embrigadement qu’il faut s’attaquer. Il s’agit de briser de nouvelles chaînes. Il s’agit d’une nouvelle abolition.

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