Saturday, 2 July 2016

* Communautarisme : une exception "républicaine" menteuse

Que pensez-vous du débat sur le communautarisme musulman ?
Jean Baubérot, historien et sociologue: La France semble aujourd’hui découvrir avec effroi une menace communautariste et un insupportable entre-soi musulman… comme si elle avait été, jusque-là, une république de citoyens abstraits. C’est évidemment faux ! Au début du XXe siècle, un Breton fréquentait une école privée catholique, lisait un journal confessionnel et adhérait à un syndicat chrétien. Pour ce citoyen, la communauté religieuse constituait à la fois un horizon de sens et un réseau de sociabilité. Après la Libération, le Parti communiste fournissait, lui aussi, un horizon de sens et un réseau de sociabilité aux ouvriers de la banlieue parisienne ou d’ailleurs : ils vivaient dans des villes communistes, ils militaient dans des organisations de jeunesse communistes et ils lisaient des journaux communistes.
        
Quel est le rôle des communautés dans la ­République française ?
Les communautés sont précieuses, car elles offrent des médiations qui permettent l’éclosion des individus. Le catholicisme et le communisme encourageaient certes l’entre-soi, mais ils ont été formidablement intégrateurs pour des générations entières d’ouvriers polonais, flamands ou espagnols. Le rôle de l’Etat n’est pas de lutter contre les communautés, mais d’assurer que l’individu n’y est pas enfermé : il doit proposer aux citoyens des itinéraires qui permettent d’avoir des identités multiples et des parcours variés. C’est ce jeu de proximité, mais aussi de distance, que l’Etat doit garantir dans son interrelation avec les communautés.

L’Etat parvient-il à assurer ce rôle dans le cas ­des musulmans ?
Il le fait mal ou peu, et ce pour deux raisons. La première, c’est que la société française ne cesse de stigmatiser les musulmans. Comparer le foulard à l’esclavage, comme l’a fait une ministre, ou exclure du monde du travail des jeunes filles voilées, comme le font certaines entreprises, cela favorise le repli sur soi de la communauté musulmane. La France, au lieu de reconstruire une histoire mythique d’unité ou d’invoquer des racines judéo-chrétiennes idéalisées, ferait mieux d’élargir sa conception de l’identité nationale.

La seconde raison, c’est que la société française ne tient plus ses promesses d’émancipation sociale. Sous la IIIe République, ­Jules Ferry disait aux paysans que leurs descendants deviendraient des « messieurs » en trois générations, mais, aujourd’hui, la mobilité sociale est bloquée. Ces défaillances permettent à des petits chefs communautaires d’imposer leurs lois et de proposer des solidarités. Tant qu’on ne mettra pas fin aux discriminations en matière de logement, de scolarité et d’emploi, on laissera les ­ ­ « communautés » tenir le rôle qui était tenu par l’Etat-providence. La France tente de retrouver, dans un discours idéologique très raide sur les valeurs républicaines, le terrain perdu dans le domaine de l’espérance politique et sociale. C’est une impasse.

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